Une découverte archéologique importante en Haute-Yamaska
Alain Mochon
Publié le 20 avril 2010 | Mis à jour le 11 septembre 2024
Publié dans : Amérindien
C’est une excursion en canot sur la rivière Yamaska, faite pour le simple plaisir d’observer l’éveil printanier de la nature et d’apprécier de visu l’état des bandes végétales riveraines, qui est le point de départ de ce qui allait devenir un voyage temporel. Bref, un contexte banal ne permettant en rien de présager que cette journée du 13 avril 2009 allait devenir mémorable.
À peine amorcée à partir du pont de la rue Shefford à Bromont, la descente en canot solo devient vite sereine au fur et à mesure que la rivière ralentit son cours, puis décrit paresseusement une succession de méandres impromptus. En accostant l’embarcation près d’une rive concave, afin d’y récolter les coquilles de moules et en déterminer les espèces, un objet « quelconque » apparaît distinctivement sur le lit graveleux de la rivière, à quelques décimètres sous la surface de l’eau. À son emplacement d’origine, l’objet en question n’offre aucun autre indice particulier que sa géométrie angulaire.
En retirant l’objet du fond de l’eau, sa face inverse révèle alors un ensemble de motifs inusités, un rebord lisse avec une courbure laissant entrevoir la bordure de ce qui pouvait être un vase. S’agissait-il d’un véritable tesson de poterie amérindienne? Dans le doute, des photographies du fragment et de son environnement sont prises, de même que les coordonnées géographiques du lieu de prélèvement.
Au retour de l’excursion, une série d’échanges courriels, avec photographies à l’appui, s’engage par l’intermédiaire du personnel des parcs nationaux du Québec. L’objectif : obtenir le diagnostic d’un professionnel de l’archéologie. Quelques jours plus tard, il se confirme que le fragment anodin constitue bel et bien une trouvaille remarquable.
Les fragments de poteries (tessons de corps ou de bord de vases) constituent de véritables fenêtres ouvertes sur le mode de vie des premiers occupants du territoire. L’avènement de la poterie, développée à des fins de stockage et d’entreposage de la nourriture, marque la période préhistorique du Sylvicole, comme mentionné précédemment. Grâce à leur aspect général et aux motifs qu’ils portent, qui ont évolué à travers les trois millénaires que couvre cette période temporelle, les fragments de vases révèlent une signature toute particulière que les archéologues peuvent associer à une culture matérielle donnée. C’est ainsi que le fragment de bord de vase trouvé sur le lit de la rivière Yamaska peut par son parement typique être clairement affilié à la grande famille linguistique des Iroquoiens du Saint-Laurent.
La courbure du tesson de bord permet de déterminer une circonférence d’ouverture du vase de 70 cm, soit approximativement 22 cm de diamètre. Le tesson a été enregistré formellement au MCCCFQ et au sein de la banque de données de l’Inventaire des sites archéologiques du Québec. Photo : Roland Tremblay
La présence amérindienne dans la région de la Haute-Yamaska est très peu documentée en termes d’artefacts. L’état des connaissances suggère que le territoire a servi de zone de passage et de refuge dans un contexte d’utilisation extensive des ressources. La découverte inusitée de ce fragment de bord de vase s’ajoute à seulement trois autres sites connus dans le haut bassin de la rivière Yamaska, situés entre Farnham et Adamsville.
Selon Roland Tremblay, archéologue émérite, le fragment daterait entre 1 350 et 1 580 ans de notre ère et serait donc antérieur à l’arrivée des Européens en région. Il est fort possible que les Iroquoiens aient eux-mêmes été impliqués dans le transport sur place de cette pièce, rendant ainsi plausible l’hypothèse d’une présence iroquoienne aussi loin dans le haut bassin de la rivière Yamaska. À l’endroit où le fragment de vase a été découvert, la rivière décrit un parcours complexe de méandres dans une plaine alluviale luxuriante. Cet environnement riche devait offrir des ressources multiples pouvant très certainement supporter des usages saisonniers. Mais il se peut aussi que la pièce ait été transportée par d’autres groupes à la suite d’échanges, par les ancêtres des Abénakis, par exemple. Quoiqu’il en soit, ce site représente un potentiel archéologique qui permettrait de lever le voile sur un chapitre de l’occupation humaine antérieure à l’arrivée des populations blanches sédentaires dans le secteur de ce qui allait devenir West Shefford.
Des visites subséquentes à la rivière ont aussi permis la découverte d’autres artefacts (fragments de tuyau et fourneau de pipes) davantage contemporains, mais dont le contexte préhistorique ou historique reste encore à préciser.