La bibliothèque municipale de Granby, 1944-1985 : un long et difficile parcours
Mario Gendron
Publié le 21 janvier 2015 | Mis à jour le 11 septembre 2024
Publié dans : Culture
Quatre décennies séparent la création de la bibliothèque municipale de Granby, en 1944, et la construction d’un édifice qui convienne véritablement à sa mission, en 1985. Au cours de cette période, la bibliothèque occupe trois lieux différents, ferme ses portes pendant quelques années, essuie de multiples refus de la municipalité de la subventionner adéquatement et voit même la population granbyenne s’opposer à sa relocalisation dans un nouveau bâtiment, en 1965. Or, malgré les contrariétés et les désillusions, il s’est toujours trouvé quelques organismes ou individus pour relancer l’institution et tenter de faire valoir ses avantages à la population. C’est à la détermination des membres de la Chambre de commerce des jeunes, Henri Martin en tête, des éditorialistes de La Voix de l’Est et du bibliothécaire Constant Bagordo, sans oublier le maire Paul-O. Trépanier, que Granby doit de posséder une bibliothèque digne de ce nom à compter de 1985.
La naissance d’une institution (1938-1944)
C’est en février 1938 que l’idée de former une bibliothèque publique commence à circuler à Granby. La proposition émane de deux organismes de jeunesse nouvellement fondés, la Jeunesse ouvrière catholique (JOC et JOCF), mise sur pied en 1936, et la Chambre de commerce des jeunes, qui voit le jour un an plus tard. Des deux associations, c’est la première, forte de ses 300 membres (100 garçons et 200 filles), qui passe à l’action en avril 1938. Avec un ratio d’une bibliothèque publique pour 42 000 habitants au Québec, bien inférieur à celui qu’on observe ailleurs en Occident, notamment en Ontario, la JOC considère qu’il est impératif d’agir. Or malgré une collecte de livres de porte à porte qui remporte un certain succès chez les citoyens de Granby, l’initiative ne produit aucun résultat concret.
Il faut attendre novembre 1941 avant que le projet de fonder une bibliothèque publique à Granby revienne dans l’actualité, à l’occasion de la construction d’un nouvel hôtel de ville, où on compte l’établir. Lors d’une allocution devant la Chambre de commerce des jeunes, le maire Horace Boivin indique que cette bibliothèque offrira suffisamment de place pour « 30 000 à 40 000 volumes » ; du même souffle, il en confie l’organisation et le contrôle à ses hôtes. La Chambre, qui se définit comme « une élite, un regroupement de jeunes qui veulent profiter de ce qu’ils occupent une place stratégique dans la société pour faire du bien autour d’eux », accepte avec enthousiasme de relever le défi. Loin d’être isolés dans l’aventure, les jeunes militants reçoivent immédiatement l’appui de la Société Saint-Jean-Baptiste et du club Kiwanis et, quelques mois plus tard, celui des deux hebdomadaires locaux, La Voix de l’Est et la Revue de Granby.
Mais la tâche s’annonce ardue pour la Chambre de commerce des jeunes, confrontée, d’une part, à une population ouvrière honnête et travailleuse mais peu instruite et, d’autre part, à une administration municipale qui, tout en reconnaissant le bien-fondé du projet, considère que les activités culturelles et de loisirs doivent être menées « sous une base d’affaires », c’est-à-dire sans trop compter sur l’aide financière de l’hôtel de ville. De fait, dans l’esprit du maire Boivin, il ne s’agit pas de fonder une bibliothèque municipale, mais plutôt une bibliothèque publique, dont le fonctionnement serait assuré grâce à des fonds privés et du bénévolat.
Scolarité selon le sexe, en pourcentage, dans quatre centres urbains de 10 000 habitants et plus, en 1941
Années d’étude selon le sexe | H. 6 et – | F. 6 et – | H. 7 à 9 | F. 7 à 9 | H. 10 et + | F. 10 et + |
Granby | 43 | 40,9 | 38,5 | 38,8 | 18,5 | 20,3 |
Saint-Jean | 37,7 | 34,7 | 40,1 | 41,6 | 22,2 | 23,7 |
Drummondville | 33,5 | 30,5 | 41,1 | 41,1 | 25,4 | 28,4 |
Saint-Hyacinthe | 32.9 | 33.9 | 37 | 39,4 | 30,1 | 26,7 |
Les données de ce tableau montrent que les citoyens de Granby sont moins scolarisés que ceux des trois autres villes de 10 000 habitants et plus, avec 43 % des hommes et 40 % des femmes qui ont fréquenté l’école six années ou moins, soit environ 10 % de plus qu’à Drummondville et Saint-Hyacinthe. Deux facteurs principaux semblent expliquer ces écarts relatifs. Le premier est la sous représentation à Granby de ceux qui possèdent 10 ans et plus de scolarité, en raison surtout de l’absence d’institutions diocésaine ou judiciaire; le second tient à la structure même de l’économie manufacturière granbyenne, dominée par une industrie légère qui exige une main-d’œuvre peu qualifiée.
Dans un texte intitulé « Notre bibliothèque municipale », paru dans La Voix de l’Est du 21 janvier 1942, la Chambre de commerce des jeunes expose clairement ses positions et ses attentes à l’égard du projet dont elle assume désormais la responsabilité. En préambule, on y lit que Granby, ville industrielle et manufacturière de 15 500 âmes, renferme « des richesses intellectuelles qui ne demandent qu’à être cultivées et exploitées par un outillage accessible » et que, par conséquent, elle se doit « d’accorder à ses travailleurs des heures de lecture et de distraction après leur journée de travail manuel ». Les gens, ajoute-t-on, ne peuvent plus se contenter de lire « des annales, des almanachs, des revues et des magasines [sic] populaires », il est nécessaire qu’ils abordent des lectures plus consistantes, que seule la mise sur pied d’un bibliothèque municipale pourra leur garantir. C’est de cette manière, et de cette manière seulement, qu’on pourra « lutter contre les exploiteurs de l’ignorance et de la naïveté populaire », a-t-on l’audace d’affirmer.
À l’instar de la JOC quelques années plus tôt, la Chambre de commerce des jeunes concentre d’abord ses efforts sur la collecte de volumes auprès des citoyens et des organismes de Granby. En janvier 1943, peut-être déçu des résultats de sa campagne de sollicitation, l’organisme prend l’initiative de réclamer à la Ville un budget annuel de 1 500 $ afin d’assurer le fonctionnement de la bibliothèque. Mais la municipalité se campe dans une position non interventionniste, résolue à ne pas s’engager dans des dépenses récurrentes. Lorsque le local de l’hôtel de ville est fin prêt à accueillir la bibliothèque, au début de 1944, il est impossible de procéder à son ouverture par manque d’argent et de livres.
La traversée du désert (1944-1958)
La bibliothèque municipale de Granby est inaugurée en octobre 1944. Après trois ans à solliciter le public et les organismes de la ville, le Comité de formation de la bibliothèque de la Chambre de commerce des jeunes, présidé par Henri Martin, a réussi à constituer un inventaire de 1 200 volumes, auquel s’ajoutent 48 journaux et périodiques. Si le financement de l’institution n’est pas assuré, l’engouement qui se manifeste au Québec pour les bibliothèques publiques, depuis le début des années 1940, permet d’espérer une évolution positive du dossier dans un avenir prochain.
Selon la description qu’en fait La Voix de l’Est, le local de la bibliothèque comprend deux rangées d’étagères, la première réservée aux livres en français et la seconde aux titres en anglais; les livres pour enfants occupent un espace bien à eux. Une salle de recherche est mise à la disposition des « lecteurs qui ne jouissent pas à [dans] leur foyer du calme nécessaire ». Grâce à un prêt de 125 films de l’Office national du film du Canada (ONF), une cinémathèque comble les attentes des adeptes du septième art. Cependant, ce n’est qu’en 1957 que l’ONF et Granby concluent une entente officielle (règlement No 301) concernant la cinémathèque.
Bien qu’elle fonctionne depuis le début des années 1940 grâce à l’appui de l’ONF, ce n’est qu’en janvier 1957, avec l’adoption du règlement N0 301, que la cinémathèque « municipale et publique » est officiellement fondée. Sur la photo, qui date de 1958, on aperçoit Eugène Brodeur et le conseiller municipal J. Armand Bouchard. (©SHHY, fonds Valère Audy, P052)
Au cours de ses premières années d’existence, la bibliothèque ouvre cinq jours et trois soirs par semaine. Le nombre des abonnés, 25 au départ, atteint bientôt la centaine, tandis que l’inventaire des volumes passe de 1 200 à 5 000. Pour assurer le fonctionnement au jour le jour de l’institution, on s’en remet à la générosité des bénévoles. À cet égard, les premières employées de la bibliothèque sont Irène Goyette et Laure Bergeron, à qui la Chambre de commerce des jeunes fait suivre quelques cours en bibliothéconomie; Mlle Robidoux et Pierrette Ménard prendront leur suite.
Or le désintérêt de la population, alimenté par une asphyxie financière persistante, entrave bientôt la croissance de la bibliothèque et menace même son avenir; déjà en 1951, le nombre de ses abonnés est retombé à 25 et il n’y a plus de bibliothécaire. Lorsque la municipalité, en 1955, décide de procéder à sa relocalisation dans l’ancien bureau de poste, où elle partagera désormais l’espace avec le Musée des beaux-arts, la bibliothèque est bel et bien moribonde.
La Voix de l’Est, d’ordinaire sympathique à l’administration Boivin, n’a de cesse de dénoncer l’apathie de la municipalité, de même que l’indifférence des citoyens, dans le dossier de la bibliothèque. Dans sa lutte pour faire accepter la pertinence de l’institution, le journal peut compter sur des appuis de taille, comme celui du Conseil des métiers et du travail, qui représente des milliers de syndiqués de Granby, mais il demeure le seul à posséder suffisamment d’influence pour infléchir le cours des choses. En février 1958, la publication d’un article choc sur la situation de la bibliothèque municipale fait une éloquente démonstration de cette ascendance.
À la suite d’une enquête sur le terrain, le journaliste de La Voix de l’Est décrit la bibliothèque comme un endroit abandonné, en désordre et poussiéreux, que personne n’a envie de fréquenter. Sur le registre des abonnements, la dernière inscription, avril 1953, en dit plus long sur l’état des lieux que toutes les descriptions. « Ce tableau navrant, indique le journal, est le résultat d’une désaffection croissante du public, elle-même provoquée par le vieillissement progressif du fonds de livres, et ce dernier, à son tour, dû au manque de ressources ». Pour résoudre le problème de la bibliothèque, il suffirait d’accroître son financement public, soutient le quotidien. Mais pour que cela advienne, « il faut que la population de Granby cesse de pratiquer l’obstruction morale aux dépenses concernant la bibliothèque et appuie la municipalité » et que cette dernière, pour sa part, consente à investir dans « cette bibliothèque qui, jusqu’à présent, n’a eu de municipale que le nom et les locaux ». Et La Voix de l’Est de conclure sur ce constat humiliant : « Granby est sans doute la seule ville de 30 000 habitants du Canada où ne fonctionne aucune bibliothèque municipale ».
Municipalisation et espoirs déçus (1958-1973)
L’article percutant de La Voix de l’Est n’est pas long à produire ses effets, le principal d’entre eux étant la municipalisation de la bibliothèque, désormais assurée de recevoir un budget annuel en tant que service public. Achat de livres, abonnement à des journaux et revues et engagement d’un bibliothécaire rémunéré sont toutes des mesures qui, l’espère-t-on, permettront à l’institution de repartir sur de nouvelles bases. En juillet 1958, après une éclipse de plusieurs années, la bibliothèque rouvre ses portes avec à sa tête Jean Lasnier, le premier bibliothécaire permanent. Bientôt, on compte 350 abonnés; l’année suivante, ils sont un millier et la salle de lecture et de recherche est devenue un lieu animé. Porté par ces bonnes nouvelles, le bibliothécaire réussit à obtenir l’engagement d’un deuxième employé permanent, en septembre 1959.
Or deux ans plus tard, contre toute attente, la population a de nouveau déserté la bibliothèque municipale, sans doute lassée du peu de titres qu’on y offre. Car sur les 6 000 volumes de son inventaire, seulement 4 000 ont « une valeur réelle », alors qu’une ville aussi populeuse que Granby devrait en posséder dix fois plus. Si c’était le cas, la fréquentation augmenterait sans doute d’autant, affirme le bibliothécaire.
Budget annuel de huit bibliothèques municipales du Québec en 1960
Ville | Population | Budget $ | Par personne $ |
---|---|---|---|
Sept-Îles | 12 000 | 11 752 | 0,98 |
Trois-Rivières | 57 132 | 52 900 | 0,93 |
Shawinigan | 31 873 | 21 026 | 0,66 |
Hull | 54 302 | 32 139 | 0,59 |
Drummondville | 25 695 | 12 190 | 0,47 |
Valleyfield | 27 303 | 12 250 | 0,45 |
Saint-Jérôme | 25 204 | 8 095 | 0,32 |
Granby | 31 000 | 7 500 | 0,24 |
En 1962, soit quatre ans après la publication de l’article incendiaire du quotidien régional, la situation déplorable de la bibliothèque provoque un nouveau coup d’éclat, déclenché par Lucius Laliberté, libraire de Granby et président des Libraires canadiens. Dans un véritable réquisitoire, ce dernier accuse les employés de la bibliothèque, qualifiés de personnes « simplement incompétentes », d’être responsables de la plupart des problèmes qui affectent l’institution; dans son argumentaire, cependant, Lucius Laliberté évite d’évoquer le sous-financement municipal chronique de cette dernière.
Quoi qu’il en soit des responsabilités des uns et des autres, cette nouvelle crise aboutit à un double résultat : elle force l’adoption du Règlement pour l’établissement et le maintien d’une bibliothèque municipale, qui prévoit la formation d’un comité consultatif, dont le premier président est Mario Girard, et elle provoque la démission du bibliothécaire Jean Lasnier.
Constant Bagordo entre en fonction en novembre 1962; c’est le premier professionnel qualifié à occuper la charge de bibliothécaire. Dès son entrée en poste, le nouvel employé se donne pour mission d’augmenter l’inventaire des volumes, qui passe de 4 800 à 13 500 titres en quelques mois, la fréquentation de la bibliothèque épousant la même tendance à la hausse. Puis, c’est le changement de garde à l’hôtel de ville, en janvier 1964, qui favorise l’action du bibliothécaire, avec le départ d’Horace Boivin, en poste depuis 1939, et l’arrivée de Paul-O. Trépanier, un jeune architecte aux idées avant-gardistes — que d’aucuns considèrent extravagantes. Les circonstances s’y prêtant, Constant Bagordo formule trois souhaits pour la bibliothèque municipale : posséder un inventaire de 50 000 livres, déménager dans un local au moins cinq fois plus grand et augmenter le nombre des employés. Ces demandes s’accordent avec l’ambition de Paul-O. Trépanier de créer à Granby un grand centre culturel, dont l’élément central serait la bibliothèque. Or le maire se trouve isolé au conseil municipal sur cette question, la majorité des élus optant pour une entreprise plus modeste, soit la construction d’une simple bibliothèque dans le parc Miner, un emplacement rapidement écarté en faveur du parc Victoria. Pour financer le projet, on compte profiter des subventions accordées dans le cadre de la commémoration du centenaire de la Confédération canadienne, en 1967. Ainsi, sur un budget de construction estimé à 250 000 $, les gouvernements fédéral et provincial acceptent de débourser 134 000 $, limitant la part de Granby à 116 000 $, une contribution qui nécessite l’adoption d’un règlement d’emprunt.
La construction de la bibliothèque soulevant quelques résistances citoyennes, l’administration municipale doit se résoudre, fin avril 1966, à tenir un référendum sur le règlement d’emprunt de 116 000 $. Le résultat est sans équivoque : sur les 885 propriétaires qui se rendent aux urnes, près des trois-quarts se prononcent contre l’initiative municipale. L’éditorialiste de La Voix de l’Est fulmine : « La cité de Granby est devenu hier l’une des premières villes du Québec, sinon la première, à rejeter les subventions consenties par les gouvernements provincial et fédéral dans le but de favoriser et de faciliter la réalisation de projets devant commémorer le centenaire de la Confédération canadienne ». Certains blâment le faible taux (18,5 %) de participation pour ce refus et d’autres affirment que c’est l’idée même de construire une bibliothèque dans le parc Victoria qui a rebuté les citoyens. Médusé par les résultats du vote, le bibliothécaire Constant Bagordo indique, pour sa part, que c’est l’avenir même de l’institution qui semble désormais compromis. Ce qui s’avère le plus déconcertant dans le rejet des propriétaires, c’est qu’il ne paraît pas motivé par un quelconque souci d’austérité financière, mais plutôt par des considérations d’ordre idéologique. Sans cela, comment expliquer que, moins de deux semaines après le référendum, la Ville faisait adopter, sans opposition, un règlement d’emprunt de 2,8 millions de dollars, dont un million pour la construction d’un nouvel aréna (Centre sportif Léonard-Grondin) ?
Régression et renaissance (1973-1985)
Retombée un peu dans l’oubli après la tentative de construction ratée de 1966, la bibliothèque municipale fait à nouveau la manchette, à l’été 1973, à l’occasion du débat sur la démolition de l’ancien bureau de poste, où elle est installée depuis 1955.1 La double possibilité que l’édifice patrimonial soit démoli et que la bibliothèque soit relogée dans le sous-sol de l’église Sainte-Famille soulève les passions et mobilise les citoyens. Regroupés dans le Comité pour la conservation de la bibliothèque, les opposants ont beau dire et faire, l’hôtel de ville reste sourd à leurs doléances, tous les conseillers municipaux s’étant prononcés en faveur de la démolition, « pour faire place à une rue élargie et faciliter la circulation dans le centre-ville ». Malgré le dépôt d’une pétition de 2 000 noms contre la destruction du bureau de poste, la Ville reste inflexible et les employés municipaux s’affairent bientôt à transporter les livres de la bibliothèque au sous-sol de l’église Sainte-Famille. Le nouveau local, de 2 900 pieds carrés, soit sept fois moins grand que la norme provinciale pour une ville de la dimension de Granby, offre à peine assez d’espace pour l’entreposage des livres. Trente ans après sa fondation, la bibliothèque, pour avoir progressé en matière de financement et du professionnalisme de son personnel, retourne à la case départ en ce qui concerne la dimension et la conformité de ses locaux.
« Granby l’aura enfin sa bibliothèque », titre La Voix de l’Est du 19 octobre 1983. Il est d’ailleurs impératif d’agir, Drummondville et Saint-Jean ayant entrepris l’année précédente d’importants travaux d’agrandissement à leur bibliothèque, alors que « pendant ce temps, Granby doit se débrouiller avec son sous-sol d’église ». Mais cette construction, comme tout ce qui a trait à l’histoire de cette institution, ne se fera pas sans tiraillements. Et c’est le maire Paul-O. Trépanier, revenu à la charge avec son concept de centre culturel, avec bibliothèque municipale, salle de spectacles et place de la famille, qui se retrouve au cœur de la polémique, comme vingt ans auparavant. Le maire soutient qu’un tel complexe culturel créerait un effet synergique profitable à la bibliothèque, à son avis trop peu fréquentée. Mais ce projet, que plusieurs jugent pharaonique, suscite autant d’opposition que celui du milieu des années 1960 et doit, lui aussi, être abandonné.
Résolu à doter sa ville d’une bibliothèque digne de ce nom, le maire Trépanier propose en 1983 de construire un édifice de deux étages, au prix de 2,5 millions de dollars, dont Granby n’aurait à payer que 875 000 $ (35 %), le reste de la somme étant assumé par Québec. Or quatre conseillers municipaux s’opposent au projet en raison de son coût, qu’ils jugent prohibitif. Pour les mêmes motifs, la Chambre de commerce de Granby emboîte le pas aux dissidents. Les résultats d’un sondage auprès des membres de la Chambre révèlent non seulement que 30 % d’entre eux ne jugent pas nécessaire de reloger la bibliothèque, mais que 100 % des industriels, 72 % des commerçants et 60 % des professionnels consultés s’opposent à la réalisation d’un projet de 2,5 millions de dollars.
Face à un mur d’opposition, l’administration Trépanier n’a pas d’autre choix que de battre en retraite et revenir avec une proposition plus modeste : une bibliothèque d’un seul étage, au coût de 1,5 million de dollars, dont 1,1 million, soit plus des trois quarts, versé par le ministère des Affaires culturelles. À la suite de l’acceptation du projet par la Chambre de commerce de Granby, rien ne s’oppose à la construction de la bibliothèque, confiée à l’architecte granbyen Denis Favreau.
La nouvelle bibliothèque municipale de Granby reçoit ses premiers usagers au début de septembre 1985 et est officiellement inaugurée à la fin du mois. Lors d’une journée porte ouverte, 2 000 personnes se rendent visiter les lieux. Leurs commentaires, tous positifs, soulignent la qualité de l’éclairage, l’aménagement pratique et le climat de sérénité, propice au travail intellectuel et à la lecture. Signe le plus certain de l’approbation populaire, le nombre des nouveaux abonnés à la bibliothèque ne cesse d’augmenter.
Lors de l’inauguration de la bibliothèque, le maire Paul-O. Trépanier dit regretter que le « reste du conseil » ait refusé de construire un second étage à l’édifice ; ce projet se réalisera sans doute un jour, affirme-t-il, mais il « en coûtera plus cher à la municipalité ». Trois décennies plus tard, la prophétie du maire ne s’est toujours pas concrétisée.
Bibliographie
- Bureau des statistiques du Québec. (1956). Annuaire statistique du Québec, 1955. Rédempti Paradis, p. 210-211.
- M. Gendron, J. Rochon, R. Racine. (2001). Histoire de Granby, Société d’histoire de la Haute-Yamaska, 2001, 512 p.
- Paul-O. Trépanier. (1999). Les 300 mois de Pierre-Horace Boivin, maire de la ville de Granby de 1939 à 1964. Les éditions et productions JoLanne, 917 p.
- Recensement du Canada, 1941, v.2, Ottawa, Edmond Cloutier, 1944, p. 798-799.
- Donat Brosseau. (1977). Bibliothèque municipale, historique. Fonds Henri Martin (P021, S1, SS7, D2). Société d’histoire de la Haute-Yamaska.
- À propos de la démolition du bureau de poste, voir Mario Gendron. (2017, 5 octobre). L’ancien bureau de poste de Granby : autopsie d’une démolition. ↩︎