Pierrette Lafleur, une vie en deux temps

Pierrette Lafleur porte un combiné téléphonique à son oreille. Elle est assise à une table, stylo à la main, devant un micro orné des lettres C.H.E.F.
(©Société d’histoire de la Haute-Yamaska, fonds Pierrette Robichaud Lafleur, P100-D039-P002)

Mario Gendron

Publié le 5 mars 2021 | Mis à jour le  11 novembre 2024

Publié dans :

Pierrette (Robichaud) Lafleur est née à Granby, le 1 octobre 1929, et décédée dans la même ville, le 18 mars 2017. Animatrice, intervieweuse, journaliste et comédienne à ses heures, Pierrette Lafleur est une figure marquante du Granby socioculturel des années 1950, 1960 et 1970. Au cours de sa longue carrière, elle a eu l’occasion de côtoyer les artistes francophones les plus connus de leur époque. D’un point de vue social et communautaire, sa vie professionnelle prendra un nouveau tournant en 1975, à l’occasion de l’Année de la femme.

Dans sa jeunesse, Pierrette Lafleur fréquente la Présentation de Marie, une institution scolaire privée, où elle expérimente le chant, la danse, le théâtre et le piano. Les religieuses l’encouragent à monter sur scène, ce qui lui permet d’affirmer ses talents dès son plus jeune âge.

Le milieu familial de Pierrette Lafleur est également propice à son affirmation. Ainsi, sa mère, chanteuse lyrique, l’amène avec elle aux concerts auxquels elle participe, l’initiant à la musique classique. Quant à son père, il est président de la Chambre de commerce de Granby et, à ce titre, il côtoie Horace Boivin, ce qui s’avérera très utile au début de la carrière de Pierrette.

À vingt ans, comme beaucoup de jeunes gens de bonne famille de l’époque, elle se rend à Paris. Elle y rencontre Léon Zitrone, journaliste bien connu dans la Ville lumière, et elle est interviewée à Radio-France. Le maire Boivin lui écrit des lettres de référence à plusieurs occasions, ce qui facilite ses déplacements dans plusieurs pays d’Europe.

Pierrette Lafleur (troisième à partir de la droite) et la Troupe aux étoiles, en novembre 1947. (©Société d’histoire de la Haute-Yamaska, fonds Pierrette Robichaud Lafleur, P100-D039-P003)

La carrière de Pierrette Lafleur profite grandement de la présence à Granby du poste de radio CHEF, inauguré en 1946. Jusqu’à l’introduction massive de la télévision dans les foyers, au milieu des années 1950, la radio granbyenne est le principal moyen de communication publique. L’intérêt de la radio locale pour la culture des gens d’ici est d’autant plus à-propos que les résidants des campagnes pourront, eux aussi, capter la « voix progressive des Cantons-de-l’Est » grâce à l’électrification rurale, débutée en 1945. Pierrette Lafleur trouvera à CHEF, où elle s’implique dès 1947, le milieu idéal à l’expression de ses talents.

D’un point de vue créatif, l’apport le plus original de CHEF fut sans doute la mise en ondes d’un radio-théâtre hebdomadaire, diffusé de 1947 à 1952. Pierrette Lafleur y contribue activement. Au départ, les comédiens de CHEF y jouent des textes comiques ou dramatiques écrits par des auteurs de Montréal ou d’ailleurs, mais on leur préfère bientôt des créations locales, notamment celles du jeune poète Wilfrid Lemoyne. Sous le nom de la Troupe aux étoiles, le petit groupe d’artistes se spécialise dans des drames et des comédies en un acte. En plus d’une diffusion hebdomadaire qui, fait rare, se prolonge cinq ans, la troupe produit parfois des émissions théâtrales spéciales, comme à Noël ou à Pâques. L’instabilité du personnel tout autant que la menace télévisuelle interrompt l’expérience en 1952.

Pierrette Lafleur en entrevue avec Jacques Fauteux en 1972. (©Société d’histoire de la Haute-Yamaska, fonds Jeannot Petit, P026-720000-94-1)

Si l’expérience théâtrale de Pierrette Lafleur prend fin avec la dissolution de la Troupe aux étoiles, la carrière de la jeune femme à CHEF ne fait que commencer. Vingt ans plus tard, on la retrouve encore au micro de la radio régionale mais, cette fois, en tant qu’animatrice et intervieweuse. À ce titre, du moins jusqu’en 1975, sa carrière s’oriente dans deux directions.  D’une part, elle procède aux entrevues avec tous les artistes de renom qui se produisent à Granby : Édith Piaf, Fernandel, Mathé Altéry, Félix Leclerc, Dominique Michel et combien d’autres.  D’autre part, elle anime plusieurs émissions de service public destinées aux femmes. Ainsi, en 1972, l’émission À conjuguer au féminin, diffusée de 13h30 à 14h30 du lundi au vendredi, aborde tout ce qui touche la femme au foyer et la femme au travail, « afin de découvrir l’évolution de la femme et du couple dans la société contemporaine par le biais d’activités sociales et politiques ».

À la télévision, elle participe à plusieurs émissions produites par Radio-Canada Sherbrooke et Télé Québec, à Montréal. Parmi ces dernières, on remarque Conjuguer au féminin et De la jarnigouane.

En tant que journaliste à La Voix de l’Est, elle écrit de nombreuses chroniques, dont « Entre nous mesdames », « Les trouvailles de Pierrette » et les « Cahiers de Pierrette », en plus de produire des reportages et des articles plus généraux.

Bref, Pierrette Lafleur est une personnalité en vue et on la sollicite pour animer des soirées et des événements spéciaux à la Chambre de commerce, à l’AFÉAS, à l’Association des femmes culturelles de Granby et partout où sa compétence et sa notoriété font une différence.

À l’occasion de l’Année internationale de la femme, en 1975, un groupe de femmes de Granby organise des événements et des rencontres tout au long de l’année. Par la suite, plusieurs de ces femmes se mobiliseront pour créer le Comité local d’action féminine (CLAF). De gauche à droite: Andrée Feeley, Ginette Laurin, Ghislaine Racine, Louise Girardot, Françoise Decroc, Pierrette Lafleur et Simone Ruel. (©Société d’histoire de la Haute-Yamaska, fonds Jeannot Petit, P026-750708-01)

À compter de 1975, la carrière, et l’existence même, de Pierrette Lafleur prennent une nouvelle tournure, lorsqu’elle s’engage à fond dans le mouvement féministe à l’occasion de l’année internationale de la femme, décrétée par l’ONU.  Au cours de cette année charnière, alors qu’elle est au milieu de la quarantaine,  Pierrette Lafleur s’implique dans le mouvement de réveil des femmes, au point d’en devenir une des porte-parole les plus importantes sur la scène locale. Accompagnée de sa partenaire Andrée Freely, et appuyée par plusieurs autres femmes, son action débute en janvier 1975 par la mobilisation de 18 organismes féminins régionaux autour des thèmes de l’échange, de l’entraide et de l’affirmation des femmes. Ces soirées rencontres se répèteront toute l’année sur une base mensuelle.

À la fin de 1975, décidés à poursuivre leur action au-delà de l’année internationale des femmes, une vingtaine de Granbyennes font les démarches pour s’incorporer sous la raison sociale de Comité local d’action féminine (CLAF). Dans une petite brochure publiée pour l’occasion sur les réflexions et les motivations féminines, on discute garderies, service de gardiennes à domicile, implantation d’une maison pour jeunes filles (Auberge sous mon toit) et éducation féminine dans les écoles.

«L’année internationale des femmes se poursuivra. Le CLAF en a ainsi décidé », écrit La Voix de l’Est le 16 décembre 1975. De gauche à droite: Denise Guénette, Louise Girardot, Andrée Feeley, Pierrette Lafleur et Nicole Jutras.  (©Société d’histoire de la Haute-Yamaska, fonds Jeannot Petit, P026-751214-02)

En 1977, un nouveau groupe, Informaction-femmes, est fondé par Pierrette Lafleur, première présidente, et ses collaboratrices. Cette association devient plus tard Entr’Elles, dont la mission primordiale est de s’occuper des femmes en difficulté; elle est toujours en fonction aujourd’hui.

À la suite d’une carrière bien remplie, Pierrette Lafleur continue à s’impliquer activement dans sa communauté et participe à tous les événements d’importance, montrant par là l’éclectisme de ses préoccupations. Par ailleurs, elle n’a de cesse de s’instruire, poursuivant une formation en psychologie des relations humaines à l’université de Sherbrooke et une autre à l’université de Montréal en andragogie (enseignement qui vise le développement de l’adulte en tenant compte de ses acquis professionnels).

La musique a toujours été partie intégrante de sa vie, chacun de ses enfants pratiquant d’un instrument de musique, un de manière professionnelle. Le rêve de jeunesse de Pierrette Lafleur était d’ailleurs de marcher dans les pas de sa mère et de devenir une chanteuse classique. Une autre activité qui a beaucoup occupé sa retraite est la reconnaissance et la mise en valeur du patrimoine musical du compositeur granbyen Roger Matton, qu’elle connaissait bien pour avoir travaillé avec lui au début de sa carrière à CHEF.

Membres d’Informaction-femmes: Louise Girardot, Marianne Sarrazin, Pierrette Lafleur, Georgette Boutin, Marie-Françoise Decroc, Nicole Jutras, Simone Ruel et Andrée Feeley. (©Société d’histoire de la Haute-Yamaska, fonds Jeannot Petit, P026-770525-01)