CHEF 1450, animateur de la vie culturelle
C’est en mars 1946 que l’indicatif « Ici CHEF Granby, un des postes de la radio française du Québec » est entendu pour la première fois en région. Jusqu’à l’introduction massive de la télévision dans les foyers, au milieu des années 1950, la radio granbyenne sera à l’image de l’effervescence qui caractérise l’après-guerre : dynamique, frondeuse,…
C’est en mars 1946 que l’indicatif « Ici CHEF Granby, un des postes de la radio française du Québec » est entendu pour la première fois en région. Jusqu’à l’introduction massive de la télévision dans les foyers, au milieu des années 1950, la radio granbyenne sera à l’image de l’effervescence qui caractérise l’après-guerre : dynamique, frondeuse, originale, tournée vers le monde tout en demeurant bien ancrée dans le terrain régional. L’intérêt de la radio locale pour la culture des gens d’ici est d’autant plus à-propos que les résidants des campagnes pourront, eux aussi, capter la « voix progressive des Cantons-de-l’Est » grâce à l’électrification rurale, débutée en 1945.
Après avoir vécu un quart de siècle sous la tutelle radiophonique des postes montréalais — CKAC ouvre en 1922 —, CHEF se révèle un lieu d’expérimentation extraordinaire pour les jeunes d’après-guerre remplis d’ambition. Du reste, pour ceux qui fourbissent leurs armes dans le domaine des arts et de l’animation, les occasions de se mettre en valeur ne manquent pas. Jean-Pierre Comeau, par exemple, qui travaille au poste depuis son ouverture jusqu’en 1949, y exerce les fonctions de chanteur, comédien, discothécaire, réalisateur et annonceur; il en va de même pour plusieurs artisans de la radio locale. C’est grâce à eux, à la force de leurs idées et à leurs initiatives originales, si CHEF a pu échapper l’influence uniformisante des façons de faire montréalaises. D’un autre côté, qui peut présumer ce qu’auraient été les carrières de Wilfrid Lemoyne, de Marie et Marcelle Racine, de Roger Matton et de combien d’autres sans la poussée de départ de la radio granbyenne ?
Selon une étude réalisée en 1949, c’est la musique sous toutes ses formes qui domine la programmation de CHEF, accaparant 60 % du temps d’antenne. L’éventail des genres recouvre une vingtaine d’émissions quotidienne d’une durée de 10 minutes à une heure consacrées à la musique militaire, aux airs semi-classiques, à la chansonnette française, au bal musette, à la comédie musicale, à la musique symphonique, au swing, aux chansonniers, aux music hall et aux concerts. CHEF conclut sa journée avec la Tournée des cabarets dansants et, tous les samedis soirs, le poste diffuse en direct de la musique de danse de l’un des grills de Granby ou de la région.
Au cours des années 1950, l’émission la plus écoutée du poste granbyen est Musique de chez nous qui, tous les dimanches de midi à 14 h 30, diffuse des airs choisis par le public et transmet des souhaits de santé, de bon anniversaire et des messages amicaux. Avec le Club 1450, CHEF cherche à rejoindre un public plus jeune en diffusant quotidiennement du be bop et du swing américains. Lorsque la télévision lui arrache une partie de son auditoire, le Club 1450 se transforme en réplique radiophonique de la populaire émission télévisée Le club des autographes; chaque semaine, CHEF y invite la jeunesse à « danser et s’amuser dans une ambiance saine, enthousiaste, tout ce qu’il y de plus “métroplole” ».
CHEF fut une véritable pépinière pour les artistes locaux de tous les domaines, qu’ils soient musiciens, chanteurs, hommes ou femmes de théâtre. Ayant à cœur l’éclosion de leurs talents, la radio met successivement en ondes Nos vedettes locales, La parade des amateurs et Nos talents en revue, des émissions qui rediffusent les concours d’amateurs qui se déroulent chaque semaine au parc Miner depuis 1942; Sur le boulevard de la chanson, La caravane musicale Miner Rubber et L’heure municipale servent aussi à la démonstration des aptitudes locales. En 1948, un grand concours de popularité organisé par CHEF à l’intention des amateurs les fait mieux connaître. Parmi les 21 femmes compétitrices, on retrouve surtout des chanteuses populaires et classiques, des pianistes et des accordéonistes, tandis que chez les hommes, 20 en tout, le talent s’exprime par le chant classique et la musique country-western, la guitare et le violon.
D’un point de vue créatif, l’apport le plus original de CHEF fut sans doute la mise en ondes d’un radio-théâtre hebdomadaire, diffusé de 1947 à 1952. Au départ, les comédiens de CHEF y jouent des textes comiques ou dramatiques écrits par des auteurs de Montréal ou d’ailleurs, mais on leur préfère bientôt des créations locales, notamment celles du jeune poète Wilfrid Lemoyne. Sous le nom de la Troupe aux étoiles, le petit groupe d’artistes se spécialise dans des drames et des comédies en un acte. En plus d’une diffusion hebdomadaire qui, fait rare, se prolonge cinq ans, la troupe produit parfois des émissions théâtrales spéciales, comme à Noël ou à Pâques. L’instabilité du personnel tout autant que la menace télévisuelle interrompt l’expérience en 1952.
Avant la création de CHEF, la vie culturelle régionale se trouvait limitée dans son développement par l’absence de moyens de communication modernes et efficaces. En ce sens, le poste de radio local aura été un phare dans la nécessaire recherche d’une identité régionale. Quant à la joie de vivre et à la liberté d’expression qui emportent le personnel de CHEF au cours des premières années d’existence du poste, elles laissent à penser que la « grande noirceur » qui a caractérisé le règne de Maurice Duplessis et de l’Union nationale laissait tout de même filtrer un peu de lumière.