Collision mortelle sur la ligne du South Eastern
Mario Gendron
Publié le 11 janvier 2023 | Mis à jour le 11 septembre 2024
Publié dans : Transport
Waterloo, le 26 juin 1879. Il est sept heures trente du matin et le train du South Eastern Railway quitte la gare avec huit minutes de retard. Le convoi est formé de quelques wagons de marchandises et d’une voiture de passagers. Sa destination est Sorel, à 60 milles (97 km) plus au nord, et il faut près de huit heures pour l’atteindre. Tout au long du trajet, plusieurs arrêts sont prévus : Warden, Roxton Falls, Acton Vale (où il y a un arrêt de deux heures), Wickham, Drummondville, Saint-Germain, Lavallée Corner, Saint-Guillaume et Sorel, où le train est attendu vers trois heures de l’après-midi.
Ce nouveau tronçon, utilisé pour la première fois le 7 mars 1879 par l’envoi d’un chargement de grain de Saint-Guillaume à Waterloo, avait été construit par le South Eastern dans le but de profiter de la forte croissance économique de petites municipalités comme Waterloo, Roxton Falls et Acton Vale et de la commercialisation des produits agricoles.
À l’aube du 26 juin, John Daly, jeune ingénieur à l’emploi du South Eastern, met sa vieille locomotive Joseph Clark sous pression et, à l’aide de son chauffeur et de quelques hommes, se rend à Warden pour charger un voyage de pierres. Son travail accompli, il s’enquiert de l’heure auprès d’un résident de Warden et considère qu’il peut retourner à Waterloo avant le passage du train régulier circulant en sens inverse. Sentant tout de même que le temps presse, il engage sa locomotive à reculons sur la voie et pousse la vapeur au maximum. Ce que John Daly ignore à ce moment, c’est qu’au détour d’une courbe, à moins d’un mille (1,6 km) de Waterloo, la mort l’attend.
Lorsque l’ingénieur James Johnson du train régulier aperçoit la locomotive de John Daly, il est déjà trop tard. Il a juste le temps de renverser la vapeur et de sauter hors de la cabine de la locomotive avec Joseph Crandall, son chauffeur, et C.W. Foster, surintendant de la compagnie, avant qu’elle ne percute violemment le tender à charbon du train de Daly. Sous l’impact, le tender se décroche et vient emboutir l’arrière de la locomotive Joseph Clark. John Daly et Moïse Narreau, qui n’ont pas quitté leur poste malgré l’imminence de la catastrophe, sont littéralement écrasés et meurent sur le coup. Un troisième occupant, Frédérick Cutler, s’en tire miraculeusement mais subit de nombreuses blessures. Joseph Lussier, qui se tenait sur le chasse-pierres de la locomotive de Daly, et qui n’a pas pu voir venir l’accident, se retrouve coincé entre le wagon chargé de pierres situé à l’avant du train et la chaudière de la locomotive. Il faudra une demi-heure d’efforts pour le tirer de cette fâcheuse position, temps durant lequel il subira de multiples brûlures. Isaï Tétreault, Joseph Dupuis et Louis Ledoux, qui se trouvaient sur le chargement de pierres, subissent également des blessures et deux de leurs compagnons, Peter Trudeau et M. Girard, sautent à temps et s’en tirent indemnes. Quoique durement secoués, aucun des 12 passagers du train régulier n’est blessé, les wagons de marchandise situés entre eux et la locomotive ayant amorti le choc.
Devant la gravité de l’accident, le coroner Ducharme institue une enquête le soir même, mais l’heure tardive empêche le début des procédures et les 12 jurés, six francophones et six anglophones, se contentent d’examiner les corps des deux défunts
Les audiences reprennent à l’hôtel de ville de Waterloo le lendemain matin à neuf heures et on procède immédiatement à l’audition des huit témoins, dont Patrick Daly, le frère de feu John Daly, Peter Trudeau, contremaître, l’ingénieur, le chauffeur et le conducteur du train régulier, C. W. Foster et le docteur Phelan.
À trois heures de l’après-midi, le jury se retire pour délibérer et rend son verdict quatre heures plus tard : John Daly est reconnu coupable de négligence dans la conduite de son train et le South Eastern blâmé pour avoir embauché un ingénieur inexpérimenté, qui ne possédait même pas de montre.