Granby et son patrimoine bâti-partie 2
Le commerce est une notion large qui inclut plusieurs activités différentes — commerces au détail, studio photographique, banque, téléphonie —, mais dont le dénominateur commun est la vente de marchandises ou de services. À Granby, on recense 12 édifices patrimoniaux dont le commerce fut la principale raison d’être.
Mario Gendron
Publié le 9 mars 2020 | Mis à jour le 11 septembre 2024
Publié dans : Patrimoine
L’architecture commerciale
Le commerce est une notion large qui inclut plusieurs activités différentes — commerces au détail, studio photographique, banque, téléphonie —, mais dont le dénominateur commun est la vente de marchandises ou de services. À Granby, on recense 12 édifices patrimoniaux dont le commerce fut la principale raison d’être. De ce nombre, on en trouve quatre qui datent du XIXe siècle, le plus vieux d’entre eux, le magasin Savage, ayant été construit vers 1870. Ces commerces anciens, tous situés dans le haut de la rue Principale, témoignent d’une époque où l’activité commerciale se concentrait dans cette partie du village de Granby. À une exception près (Bell, 1954-1955), tous les commerces patrimoniaux identifiés se situent dans la rue Principale ou près de celle-ci; par ailleurs, ils sont tous construits en brique, à l’exception de l’édifice Monty-Gamache.
La nature des activités commerciales est étroitement liée à l’évolution générale de l’économie, particulièrement à l’augmentation du revenu des ménages. Ainsi, on associe le magasin général, ce grand fourre-tout du commerce au détail, à une époque où les salaires sont bas et les achats limités au strict nécessaire. Après 1890, avec le développement de la grande industrie et la multiplication des consommateurs, dont un bon nombre est issu de la petite bourgeoisie, le volume des transactions commerciales permet à certains secteurs du commerce au détail de prospérer de manière autonome, comme ceux du vêtement, du meuble ou de la joaillerie, et à quelques commerces de services de devenir rentables; même les activités de loisirs prennent de l’expansion.
Malgré tout, il faut attendre la hausse spectaculaire des salaires, après la Deuxième Guerre mondiale, pour que le commerce s’épanouisse dans toute sa plénitude et devienne le fer de lance de la société de consommation. Ce sera l’époque des grandes chaînes de magasins à rayons, des super marchés, des salons de coiffure et des commerces spécialisés. Bientôt cependant, le phénomène des centres commerciaux viendra porter un coup fatal aux activités commerciales concentrées dans la rue Principale.
Le type architectural des fonctions commerciales évolue au gré des époques et de la diversification des secteurs d’activité. Cependant, le rapport à la fonctionnalité architecturale semble moins absolu dans le commerce que dans l’industrie, dont les constructions sont strictement utilitaires. Le souci d’esthétisme, la beauté architecturale, rejoint ici l’efficacité commerciale, un environnement visuel agréable disposant favorablement le consommateur. Par ailleurs, la vocation résidentielle complémentaire de la plupart des commerces favorise la multiplication des styles et des approches architecturales.
Le commerce au détail se concentre sur la vente de marchandises en vue de leur consommation. C’est en quelque sorte le dernier stade de diverses étapes de manutention des produits, du fabricant au consommateur. Le plus ancien commerce au détail est le magasin général, phénomène qu’on associe surtout au XIXe siècle et aux premières décennies du siècle suivant. L’édifice Savage, un grand bâtiment en brique de trois étages, construit vers 1870, constitue un exemple spectaculaire de ce type de commerce. Si on excepte les quartiers réservés à l’administration et à la famille du propriétaire, l’espace intérieur du magasin général se divise en deux grandes zones, l’une publique, l’autre réservée au marchand, aux commis et à la marchandise. Ces zones sont très bien délimitées par la distribution de longs comptoirs qui s’alignent parallèlement aux murs. Sauf pour la viande, les fruits et les légumes, on trouve de tout au magasin général Savage, chaussures, vêtements, attelages, outils, nourriture pour les animaux, médicaments brevetés et toute une gamme de produits importés d’Europe.
Mais ce type de commerce résistera mal à la diversification et à la modernisation des pratiques commerciales qui accompagneront le XXe siècle, et il disparaîtra avec l’arrivée des succursales des grandes chaînes de magasins à rayons, au cours des années 1930 et 1940. Le magasin Zigby (1931), dont l’inventaire s’apparente à celui des magasins généraux, arrive tout de même à maintenir ses opérations pendant près de quatre décennies, grâce, surtout, à la fidélité de la clientèle du quartier populaire où il est établi.
La tabagie Williams (1884) et l’épicerie boucherie Swett (1918) témoignent de la diversification commerciale qui accompagne le développement économique de la ville. Ainsi, l’édifice qu’on identifie encore aujourd’hui par le nom de tabagie Williams a été une des premières bijouteries de Granby, en activité de 1892 à 1926, à une époque où, dans le contexte d’un certain enrichissement des commerçants et des habitants du haut de la ville, la montre devient l’instrument de mesure privilégié de la nouvelle société industrielle. Quant à l’épicerie boucherie Swett, elle dessert surtout la population anglophone de Granby, comme le montrent les importantes quantités de mouton et d’agneau qu’on y vend.
Servant, à la fois, pour le commerce au détail et le service à la clientèle, l’édifice de la Southern Canada Power, construit en 1917-1918, témoigne de la présence à Granby de la compagnie d’électricité sherbrookoise qui allait être le fournisseur exclusif de la ville pour près de cinquante ans. Au rez-de-chaussée de cet immeuble, outre un bureau administratif, on trouve un comptoir pour la clientèle et les différents appareils électriques mis en vente par la compagnie. L’étage est occupé par un hall réservé aux démonstrations, où un public assez nombreux peut assister à des expériences culinaires destinées à prouver l’efficacité et l’aspect peu coûteux de la cuisson électrique.
À la différence des commerces au détail au style caractéristique, l’édifice Monty (1893-1894) et le studio de photographie de Samuel Benoît (1900) sont d’une facture architecturale qui tient autant du résidentiel que du commercial. L’édifice Monty fut d’ailleurs une résidence avant de devenir un cabinet de dentiste au cours des années 1920 et 1930. Quant au studio de photographie de Samuel Benoit, ouvert en 1901, il abritait les appartements de la famille, le studio du photographe ainsi qu’un commerce de chaussures. Généralement, les ateliers photographiques se composent de trois unités d’activité, la pièce d’accueil, où le photographe reçoit ses clients, l’atelier de pose, où l’on trouve les appareils photographiques et divers éléments de décor et le laboratoire photographique. À l’époque de l’ouverture du studio de Samuel Benoit, les photographes limitent leur pratique au seul portrait et ajoutent à leurs activités la vente d’appareils et les services de développement. Samuel Benoit exercera son métier à cet endroit jusqu’à ce qu’il cède la propriété au docteur Wilfrid Lord, en 1916, qui en fera un petit hôpital.
Afin de répondre au développement du secteur tertiaire après la guerre 1939-1945, on voit naître des édifices dont la fonction se limite au secteur des services. Le style architectural de ces constructions est au diapason de leur rôle exclusivement commercial. Ainsi en est-il de l’édifice Hains, construit en 1946. Au fil des ans, ce grand immeuble en brique de trois étages abrite, entre autres, les locaux de la Revue de Granby, qui appartient aux frères Hains, ceux de la Compagnie de radiodiffusion, de la Clinique chiropratique et de la compagnie d’assurances Union-Vie.
Parmi les commerces dont la fonction première est la vente de services, la téléphonie occupe une place privilégiée dans l’inventaire patrimonial de Granby, avec trois édifices respectivement construits en 1886, 1936 et 1955. Le système téléphonique est constitué d’un réseau reliant entre eux les postes des usagers à l’aide de câbles de transmission aboutissant à des centraux destinés à assurer la commutation des circuits. À la suite de la conception du premier appareil téléphonique par Alexander Graham Bell, en 1874, les postes ont constamment été améliorés. Pour la transmission, plusieurs systèmes de commutation automatiques ont été utilisés, dont la technique Strowger (1920) et le système Crossbar (1944).
La compagnie de téléphone Paré & Paré, du nom de Louis Paré et de son fils Hector, est fondée en 1885, cinq ans après la première conversation téléphonique de l’histoire de Granby entre le chef de gare et le gérant de la Banque des Cantons de l’Est. La nouvelle compagnie de téléphone emménage dans l’édifice Paré dès son ouverture, en 1886. À la suite de quelques succès d’entreprise, dont l’acquisition, au milieu des années 1890, du réseau régional de la Citizens Telephone Co., de Waterloo, Paré & Paré doit affronter la concurrence de plus en plus active de Bell Telephone, installée au village de Granby depuis 1886. En 1899, le futur géant de la téléphonie absorbe l’entreprise granbyenne et le réseau de 50 téléphones qu’elle possède dans le village, forçant Louis Paré à revenir à des activités commerciales plus conventionnelles.
Afin d’être en mesure d’installer à Granby un système de composition automatique, la compagnie de téléphone Bell se voit contrainte, en 1936, de construire un nouvel édifice, au coin des rues Dufferin et Victoria. Granby, qui compte à ce moment 1 200 appareils, soit quatre fois plus qu’en 1917, devient ainsi la troisième ville du Québec, après Montréal et Québec, à obtenir des téléphones à cadran. À l’origine, le bâtiment ne possède qu’un seul étage, mais on lui en ajoute un deuxième en 1947. L’architecture de ce bâtiment, résolument moderne, tranche avec la facture plus conventionnelle des édifices commerciaux que la compagnie téléphonique a occupés jusque-là.
En 1955, l’amélioration du service impose à la compagnie Bell la construction d’une deuxième centrale téléphonique, dans le boulevard Boivin. À partir de ce moment, tous les numéros de téléphone locaux seront changés de façon à être formés de deux lettres et de cinq chiffres; la mise en fonction de ce nouveau mode de numération, conforme à ce qui se fait ailleurs au Canada et aux États-Unis, permettra bientôt aux usagers d’atteindre directement tout endroit sur le continent Nord américain sans devoir passer par les téléphonistes.
Au cours de la seconde moitié du XIXe siècle, le développement accéléré de l’économie du Québec amène la multiplication des banques et la création des succursales bancaires. C’est la Merchants Bank qui, en 1875, devient la première institution bancaire de Granby; la Banque des Cantons de l’Est (1855), mieux connue sous le nom de Eastern Townships Bank, prend sa relève en 1877. À la suite d’un court séjour dans l’édifice Savage, la nouvelle banque emménage dans les anciens locaux de la Merchants, près du pont de la rue Principale.
Au tournant du XXe siècle, la croissance économique rapide de Granby incite la Banque des Cantons de l’Est à construire l’édifice patrimonial de la rue Principale et à y transporter ses activités. Confiée à D.G. Loomis & Co de Sherbrooke, la construction commence en juin 1900 et se termine dans l’année. Bien que plus modeste en volume et d’une facture architecturale moins élaborée, la succursale de Granby de la Banque des Cantons de l’Est reprend l’image de prestige que cherche à véhiculer la maison-mère de Sherbrooke. Malgré quelques modifications à l’immeuble après l’acquisition de la Banque des Cantons de l’Est par la Banque de commerce, en 1912, ce dernier conserve son cachet d’origine.