Granby et son patrimoine bâti-partie 4
Le caractère multiconfessionnel et binational de l’histoire de Granby se reflète de manière évidente dans son patrimoine architectural religieux, qui comprend six églises, deux chapelles, deux presbytères et un couvent catholiques, ainsi que deux églises et un presbytère protestants.
Mario Gendron
Publié le 16 juillet 2020 | Mis à jour le 11 septembre 2024
Publié dans : Culture, Loisirs, Patrimoine, Religion
L’architecture religieuse
Le caractère multiconfessionnel et binational de l’histoire de Granby se reflète de manière évidente dans son patrimoine architectural religieux, qui comprend six églises, deux chapelles, deux presbytères et un couvent catholiques, ainsi que deux églises et un presbytère protestants. Cette répartition inégale du patrimoine religieux entre catholiques et protestants correspond à la spécificité de l’évolution socioethnique de la ville, où les anglophones, après avoir fondé Granby et en avoir dirigé la destinée jusque dans les premières décennies du XXe siècle, sont littéralement submergés par le flot démographique des Canadiens français.
Les années de construction des édifices religieux protestants — 1854 pour le presbytère anglican, 1881 pour l’église congrégationaliste (Trinity United Church) et 1908 pour l’église anglicane St. George — remontent à une époque où les anglophones occupaient les postes clés dans l’économie et la société granbyennes. Mais bien qu’elles se rapportent toutes deux au protestantisme, les religions anglicane et congrégationaliste se différencient par l’architecture extérieure et intérieure de leurs églises. Ainsi, l’église congrégationaliste, de style gothique, comme le rappelle sa tour carrée, offre un intérieur dépouillé, sans statues ni ornementation, à l’image de cette religion dissidente, alors que l’église anglicane, à l’instar des plus belles églises catholiques, éblouit par le faste de son architecture et la richesse de son ornementation. À l’intérieur du temple anglican, entre autres splendeurs, les fonts baptismaux sont ornés d’une sculpture du XIIe siècle provenant de l’église All Saints de Granby, dans le comté de Nottingham, en Angleterre. Parce qu’il la trouvait magnifique, l’évêque anglican de Montréal, J. C. Farthing, aimait qualifier l’église St. George de cathédrale des Cantons-de-l’Est.
L’église Notre-Dame est érigée entre 1899 et 1906. Ce long délai de construction s’explique par la pauvreté des paroissiens, pour la plupart travailleurs d’usines et journaliers, mais aussi par la volonté inflexible de l’évêque de Saint-Hyacinthe de doter Granby d’une église à la mesure de son titre de deuxième ville en importance du diocèse. Construite selon les plans de l’architecte montréalais bien connu Casimir St-Jean, l’église Notre-Dame se rattache au style éclectique, en vogue au cours des années 1880-1915.
« Outre le renouvellement du vocabulaire formel (tant dans la composition que dans l’ornementation), les églises éclectiques montrent d’autres innovations. L’application de nouvelles technologies permet d’accroître la taille des édifices, de créer des volumes nouveaux et de répondre de façon originale aux exigences du culte catholique. […] De nouveaux matériaux amènent aussi variété et couleur et on utilise le travail de la pierre à un degré jusqu’alors inégalé en architecture religieuse. L’intérieur des temples fait maintenant une large place aux cycles de peinture, sculptures et vitraux, ce qui lui confère un caractère profondément
Paul Trépanier, historien de l’art et de l’architecture
narratif. »
Construite en pierre, l’église Notre-Dame, immense avec ses 2 000 places, répond parfaitement à cette définition. D’un point de vue national et religieux, cette construction vient ancrer la présence canadienne-française et catholique au cœur de ce que d’aucuns nomment le « village français » de Granby.
C’est à l’occasion du 19e centenaire de la Rédemption, en 1934, que le curé Étienne Eugène Pelletier décide de rénover l’intérieur de l’église Notre-Dame. Tout en épargnant les éléments structuraux, qui datent de 1906, on retire les décorations d’origine, signées par Toussaint-Xénophon Renaud, et on en commande de nouvelles au peintre et maître verrier de l’heure, Guido Nincheri. Ce dernier peint de majestueux décors qui seront appliqués, selon la technique du marouflage, dans les voûtes et sur les murs de la nef et du chœur. L’artiste réalise aussi les 21 vitraux qui illuminent encore l’église.
En 1930, la construction de l’église Sainte-Famille, au coût de 420 000 $, matérialise l’ascendance que la bourgeoisie canadienne-française exerce désormais sur la société granbyenne.
Ici, l’architecture devient un des supports de l’affirmation nationale. Car non seulement réussit-on à amasser les fonds nécessaires en pleine période de crise économique, mais la construction s’effectue dans un secteur de la ville jusque-là considéré comme le fief des anglophones, face à l’église anglicane St. George, haut lieu du protestantisme à Granby, un emplacement choisi expressément par l’évêque de Saint-Hyacinthe. La liste de donateurs ne laisse aucun doute quant à l’implication des notables canadiens-français de Granby dans l’érection de cette église. Pour ne prendre qu’un exemple, la famille d’Ernest Boivin, qui occupe les fonctions de maire, de député fédéral et d’industriel, supporte les coûts du maître-autel et des statues de sainte Thérèse, de la Sainte Famille, de saint Joseph et de la Vierge.
L’église Sainte-Famille, oeuvre de l’architecte sherbrookois Louis-Napoléon Audet, est érigée par la firme Paquet et Godbout de Saint-Hyacinthe. L’édifice, de style néogothique, remarquable avec ses deux clochers inégaux, peut accueillir 700 fidèles. Quant à l’intérieur de l’église, il éblouit par son faste. Exécutés par la Maison Raphaël Bernard, de Montréal, d’après les plans de l’architecte Louis Audet, les trois autels sont dignes de mention, tout comme les retables, le statuaire et le chemin de croix. Quant à la chaire, aux stalles et aux bancs, ils sont l’œuvre de la firme Paquet et Godbout.
À partir de 1940, la population anglo-protestante diminuant sans cesse, la charge symbolique et nationale de l’architecture religieuse s’estompe pour laisser place à des considérations plus pragmatiques. Désormais, sauf pour l’église Saint-Benoît (1950) dont le raffinement stylistique est remarquable, l’architecture des nouvelles églises veut avant tout répondre à l’accroissement des fidèles, dont le nombre va plus que doubler entre la construction des églises Saint-Eugène, en 1942, et Saint-Luc, en 1962.
Même enrichi des vitraux exécutés par Guido Nincheri, le premier de ces deux bâtiments est d’une modestie qui sied bien au caractère ouvrier de la paroisse Saint-Eugène, comme le suggère son coût de construction, quatre fois moins élevé que celui de l’église Sainte-Famille, érigée douze années plus tôt.
La construction du couvent des Sœurs Auxiliatrices (1950) ne peut pas être détachée de son contexte sociopolitique, puisque son existence même résulte du non-engagement de l’État québécois dans les affaires sociales. Ainsi, sollicitées par Mgr Douville, évêque de Saint-Hyacinthe, pour « venir en aide aux familles les plus infortunées de la plus populeuse cité de son diocèse : Granby », les auxiliatrices se consacrent à secourir les malades pauvres, les familles en difficulté, les jeunes mamans démunies, en plus de s’occuper des loisirs publics, des champs de compétence que Québec aime mieux laisser à l’initiative du secteur privé. En quinze ans, c’est-à-dire jusqu’à ce que la Révolution tranquille conduise à la prise en charge par l’État des malades et des plus démunis, les sœurs porteront secours à tout près de 20 000 personnes.
Architecture des fonctions culturelles et récréatives
Deux immeubles du patrimoine architectural de Granby se rattachent aux fonctions culturelles et récréatives, le cinéma Ritz (1945) et l’Escale (1960). Alors que le premier de ces immeubles est à vocation mixte, culturelle et commerciale, le deuxième est réservé aux activités de loisirs.
Divertissement populaire par excellence, le cinéma fait son entrée officielle à Granby en 1908, avec l’ouverture du Starland. Il sera suivi du Bijou (1909), du Varieties (1910), du Elite (1920), du Palace (1934) et du Cartier (1934). À Granby, l’introduction du cinéma parlant date de juillet 1929, soit deux ans après la découverte des frères Warner, une innovation qui met un terme à la présence d’un pianiste dans la salle. Au cours des années 1940, les bouleversements socio-économiques de l’après-guerre viennent pour un temps relancer l’industrie cinématographique. C’est dans ce contexte que Granby Amusement Corporation construit le cinéma Ritz, en 1945, dont la salle contient 1 156 sièges. La première représentation cinématographique s’y tient en avril 1946. En juin 1956, soit dix ans après son ouverture, le Ritz cesse ses activités, environ une semaine après la fermeture du cinéma Cartier, appartenant aussi à Granby Amusement. La généralisation de la télévision, à partir de 1950, semble avoir été le facteur décisif dans la perte de popularité du cinéma. On décide alors de convertir le Ritz en une salle de quilles de huit allées, dont l’ouverture s’effectue en juillet 1958. Par la suite, l’édifice reste multifonctionnel, avec quelques commerces et bureaux regroupés autour d’une activité principale, qui se tient au rez-de-chaussée.
Au cours de la Révolution tranquille, la question des loisirs publics prend le devant de la scène sociale et force les intervenants de différents milieux à réagir. À cette époque, Saint-Eugène, jeune paroisse ouvrière, est sans conteste la plus dynamique de Granby en ce qui concerne l’organisation des loisirs pour le plus grand nombre. C’est donc dans cette partie de la ville que le Centre récréatif Saint-Eugène est construit, en 1960, par la fabrique de la paroisse. L’architecture de cet édifice est avant tout fonctionnelle, un peu à l’image de celle d’une école.
Or, en 1966, la Fabrique de Saint-Eugène se voit intimer l’ordre de se départir de son édifice avant le 1er janvier 1967, afin de se conformer à une nouvelle loi provinciale. Mgr Dubuc, curé de la paroisse, propose alors que le Centre récréatif soit dorénavant administré par les autorités municipales, une proposition qui se concrétise en janvier 1968 lorsque l’édifice est acheté par la Ville, moyennant 60 000 $. Granby compte y regrouper les activités culturelles de l’Escale, un organisme fondé en 1964 par les Loisirs de Granby, les sœurs Auxiliatrices et l’abbé Jodoin.
Réaménagé, l’édifice comprendra trois salles polyvalentes, dont deux avec piano, et une salle spécialisée pour le théâtre, où on retrouvera aussi un piano, un système d’éclairage et une scène de 20 X 30 pieds (6 m X 9 m). L’Escale permettra à ses usagers de s’adonner aussi bien à divers arts de la scène qu’à la céramique, la peinture et le bricolage, entre autres activités. Une quinzaine de professeurs et beaucoup de bénévoles assureront la bonne marche des activités. Fait intéressant, l’Escale acquiert le titre de « boîte à chansons des Loisirs de Granby » (La Voix de l’Est, 3 juin 1969) la même année que le Festival de la chanson de Granby y tient son premier concours.