Granby, ville de baseball
En janvier 1951, le chroniqueur sportif Paul Stuart écrivait dans La Revue de Granby : « Ce n’est un secret pour personne que Granby est reconnue comme une vraie “baseball town” ». Une ville de baseball, c’est une ville où, par une belle journée d’été, 3 500 hommes, femmes et enfants remplissent les gradins du Stadium de la…
Mario Gendron
Publié le 14 mars 2011 | Mis à jour le 11 septembre 2024
Publié dans : Sport
En janvier 1951, le chroniqueur sportif Paul Stuart écrivait dans La Revue de Granby : « Ce n’est un secret pour personne que Granby est reconnue comme une vraie “baseball town” ». Une ville de baseball, c’est une ville où, par une belle journée d’été, 3 500 hommes, femmes et enfants remplissent les gradins du Stadium de la rue Laval pour assister à un match entre les Red Sox de Granby et les Cubs de Drummondville, et ce, avec la même joie et le même enthousiasme que s’il s’agissait de grandes équipes américaines. C’est une ville où près des deux tiers des dépenses qui se font en loisirs et en culture sont accaparés par le sport de balle. C’est une ville où des athlètes, des entraîneurs et des organisateurs sportifs de renom ont la possibilité d’exprimer leur talent : Omer Cabana, Fred Thurier, Joseph Bousquet, Jules Crevier, Raymond Chaput, parmi beaucoup d’autres. C’est une ville où des noms d’équipes comme Grand-B, Red Sox et Phillies nous ramènent aux belles années de la Ligue provinciale semi-professionnelle de baseball.
Selon toute vraisemblance, c’est dans la première moitié des années 1880 qu’a eu lieu le premier match officiel de baseball à Granby. D’abord chasse gardée des anglophones, ce sport transcende bientôt les divisions ethniques avec la formation du premier club canadien-français, en 1907. Entre 1915 et 1925, le baseball continue sur sa lancée grâce aux succès que connaissent deux équipes, le Granby d’Omer Cabana, formé presque exclusivement de joueurs professionnels américains, et les Indépendants, dont tous les joueurs réguliers sont des Canadiens français recrutés dans la Ligue des manufactures, donc des amateurs. Si le baseball connaît un recul au cours de la décennie suivante, plusieurs l’expliquent par le manque d’infrastructures sportives de Granby.
Le baseball connaît un énorme regain de popularité au cours de la Crise, grâce surtout à l’influence grandissante de la culture américaine et à la popularité des Royaux de Montréal. À Granby, cet engouement se matérialise par la construction, à l’été 1935, d’un stade de baseball de 3 500 places dans la rue Laval et par la formation de l’équipe Grand-B, aussitôt inscrite dans la nouvelle Ligue provinciale semi-professionnelle de baseball, deux initiatives qui reviennent à Omer Cabana.
L’équipe de Granby de la ligue Provinciale de baseball. De gauche à droite, M. Laliberté, Ray Cutter, Réjean Bougie, Babe Miron, Hervé Danis, Jos Bousquet, Curley Bessette, George Giard, Lefty Auger, Lew Elder, Peanut St-Onge, Lefty Deegan, Barber Beauregard, Ab Cookson et Doug Alcors. (©SHHY, fonds Wolseley Wilcott, P145-P1)
L’édition 1935 du Grand-B compte 13 joueurs, dont 6 Américains et trois Granbyens, Fred Thurier, Jos Bousquet et Georges Giard. On dit de la Ligue qu’elle est semi-professionnelle parce que les joueurs qui y évoluent reçoivent un salaire qui, dans les meilleurs cas, peut atteindre 200 $ ou 300 $ par mois, ce qui est bien supérieur à la rétribution moyenne d’un travailleur d’usine.
Qu’ils évoluent contre les Athlétiques de Québec, les Tigers de Drummondville ou les Saints de Saint-Hyacinthe, les Red Sox de Granby (c’est le nouveau nom que donne Omer Cabana à son équipe en 1937) rallient les foules, comme en fait foi le bilan de cette saison avec près de 37 000 entrées au Stadium. Bientôt, l’ouverture d’une école de baseball et la formation des Red Sox jr installent le sport dans ses structures permanentes. Seules la guerre et la dissolution de Ligue provinciale, en 1940, viendront briser cet élan.
C’est avec enthousiasme que les amateurs de Granby et de la région assistent, en 1947, au retour d’une équipe locale dans la Ligue provinciale semi-professionnelle de baseball. Portant d’abord le nom évocateur de Grand-B, le club est rebaptisé Red Sox en 1949 à l’occasion de son rachat par un syndicat sportif constitué d’une centaine d’hommes d’affaires. Lors de sa première saison, le Grand-B joue 93 matchs contre les équipes de Saint-Jean, Saint-Hyacinthe, Farnham, Sherbrooke, Drummondville et Acton Vale, dont environ la moitié au Stadium, devant 60 000 spectateurs. En 1950, la demande des amateurs est devenue si forte qu’on se voit dans l’obligation d’augmenter le nombre de sièges du Stadium de 3 500 à 4 200. À ce moment, la Ligue de baseball provinciale du Québec est la plus importante du Canada.
En 1952, tournant majeur : tous les clubs de la Ligue provinciale doivent s’affilier à des équipes américaines des ligues majeures ou disparaître. Pour sceller son association avec les célèbres Phillies de Philadelphie, l’équipe de Granby devra désormais porter leur nom et leurs couleurs. Mais le public n’approuve pas l’initiative, comme l’indiquent les assistances au Stadium qui diminuent de 80 000 à 31 000 entre 1951 et 1952. La troupe de Granby joue ses derniers matchs l’année suivante, terminant la saison en deuxième position au classement des équipes de la Ligue provinciale semi-professionnelle de baseball, dont les activités, par ailleurs, prennent fin dans l’indifférence en 1955.
En 1958, Alphonse Saint-Onge, véritable légende sportive granbyenne, soutient que le déclin rapide du sport semi-professionnel à Granby peut être relié à trois grandes causes : la télévision, parce qu’elle fait entrer les plus grandes vedettes du sport professionnel dans tous les foyers, l’automobile, qui éloigne les spectateurs et, enfin, les coûts exorbitants du maintien d’une équipe de haut calibre.
Malgré la renaissance de la Ligue provinciale en 1958 et les deux championnats remportés par les Cardinaux de Granby en 1966 et 1968, l’époque où Granby était considérée comme une « baseball town » était donc définitivement terminée, comme était révolu le temps où des équipes semi-professionnelles locales arrivaient à attirer les foules et à donner naissance à des héros à la mesure des petites villes dont elles étaient l’emblème.
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