Tancrède Boucher de Grosbois et l’instruction obligatoire
Le docteur Tancrède Boucher de Grosbois a représenté le comté de Shefford à Québec à deux reprises sous la bannière libérale, entre 1888-1892 et 1897-1903. À cette époque, le travail accompli par le député de Grosbois illustre bien les espoirs de changements qu’entretient une partie de la bourgeoisie francophone du Québec.
René Beaudin
Publié le 8 septembre 2010 | Mis à jour le 11 septembre 2024
Publié dans : Éducation
Le docteur Tancrède Boucher de Grosbois a représenté le comté de Shefford à Québec à deux reprises sous la bannière libérale, entre 1888-1892 et 1897-1903. À cette époque de remise en cause des relations entre l’Église et l’État, le travail accompli par le député de Grosbois illustre bien les espoirs de changements qu’entretient une partie de la bourgeoisie francophone du Québec.
Né à Chambly en 1846, Tancrède Boucher de Grosbois est apparenté à la grande famille des Boucher, seigneurs de Boucherville. Il étudie d’abord au collège de Saint-Hyacinthe et ensuite à l’université McGill, où il est reçu médecin en 1868. Il exercera sa profession à Longueuil, Saint-Bruno, Chambly et Roxton Falls. Candidat libéral défait dans Chambly aux élections fédérales de 1872 et dans Shefford aux élections provinciales de 1881, il est finalement élu dans ce dernier comté en 1888.
L’action politique de Boucher de Grosbois, surtout celle qu’il exerce au cours de son deuxième mandat (1897-1903), souligne l’esprit de réforme qui prévaut au sein d’une certaine élite contre la prépondérance et l’immobilisme de l’Église en matière d’éducation. À l’avant-garde des événements, c’est de Grosbois qui posera le premier geste concret en vue de l’établissement, au Québec, de l’instruction obligatoire. Ainsi, le 5 mars 1901, il dépose à l’Assemblée législative un projet de loi « à l’effet d’assurer une meilleure assistance aux écoles publiques ». Selon les termes de ce projet de loi, les parents seraient obligés, sous peine d’amende, d’envoyer leurs enfants de 8 à 13 ans à l’école pour une durée d’au moins 16 semaines durant l’année scolaire, et ce, dans le respect des croyances religieuses des catholiques et des protestants. Mais le projet de loi sera rejeté par 55 voix contre 7, le principal argument des opposants étant qu’il attentait à la liberté des parents en matière d’éducation. Or, la véritable opposition au projet de loi du député de Shefford venait du clergé et de ses supporteurs qui y voyaient une tentative de laïcisation de l’école, une institution sous tutelle cléricale.
Au tournant du XXe siècle, selon l’Église, deux périls menacent la société canadienne-française : l’un est anglo-protestant et l’autre maçonnique. Or, le projet de loi proposé par le docteur Boucher de Grosbois était soutenu, entre autres partisans, par un groupe d`amis et collègues médecins de Montréal qui étaient soupçonnés d’avoir des accointances avec les franc-maçons de France, particulièrement avec un certain Louis Herbette, un sénateur radical, membre influent du conseil général de la Ligue française de l’enseignement qui avait fait la promotion de l’instruction publique obligatoire et de l’école laïque et républicaine. Mgr Bruchési, qui s’opposait officiellement à la scolarisation obligatoire des enfants « au nom de la puissance paternelle », craignait en réalité que le mouvement de laïcisation français ne prenne de l’ampleur et qu’il ne s’implante au Québec. Les appréhensions du prélat se confirmeront d’ailleurs en 1903, lorsque le docteur Émile Combes, ministre de l’Intérieur et des Cultes en France, fera interdire d’enseignement 54 congrégations masculines et, quelques mois plus tard, 80 congrégations féminines. Le Canada accueillera un grand nombre de ces laissés-pour-compte.
Le rejet du projet de loi de Boucher de Grosbois ne signifie pas pour autant la fin du débat sur l’instruction publique obligatoire, une certaine partie de la bourgeoisie francophone continuant à contester l’influence de l’Église en ce domaine. Mais l’évolution des mentalités ne sera pas assez rapide pour permettre au docteur Boucher de Grosbois d’assister à la réalisation de sa démarche éducative. Il décède à Montréal en 1926, alors que la loi sur l’instruction publique obligatoire au Québec ne sera adoptée qu’en 1943.