La densification doit épargner la rue Elgin, secteur emblématique de Granby

Jean-François Gazaille
Publié le 28 avril 2025 | Mis à jour le 28 avril 2025
Publié dans : Patrimoine
Je vous écris au nom du conseil d’administration de la Société d’histoire de la Haute-Yamaska afin d’attirer votre attention sur les enjeux patrimoniaux majeurs que soulève la densification urbaine envisagée pour la rue Elgin. Ce secteur, l’un des plus emblématiques de Granby, se distingue par sa richesse historique et son caractère patrimonial qu’il importe de préserver avec le plus grand soin.
La rue Elgin constitue l’un des ensembles les plus pittoresques de la ville. Entourée d’une végétation abondante, elle est jalonnée de résidences qui témoignent de l’aisance des grands marchands anglophones de la fin du XIXe siècle. Ces demeures incarnent, en quelque sorte, la position que la communauté anglo-saxonne a occupée dans l’histoire économique et sociale de Granby.
Ce n’est donc pas un hasard si, sur les 240 bâtiments patrimoniaux recensés dans l’Inventaire du patrimoine bâti de la ville de Granby, réalisé par la SHHY et dont une copie a été déposée à l’Hôtel de Ville, 23 se situent dans la rue Elgin. Parmi ces derniers, 10 possèdent une valeur patrimoniale supérieure ; le 29, rue Elgin, est de ce nombre.
Le patrimoine bâti exceptionnel de la rue Elgin forme un tout cohérent et fragile : l’harmonie entre les matériaux d’origine, les détails architecturaux, le paysage et l’implantation des maisons dans de vastes terrains contribuent à l’« esprit des lieux ». Cet équilibre est toutefois extrêmement vulnérable. Toute intervention mal adaptée – comme la subdivision des terrains ou l’ajout de constructions nouvelles – risque d’en compromettre l’intégrité de manière irréversible.
La valeur patrimoniale d’une maison ne repose pas uniquement sur sa structure. Elle découle aussi de sa relation intime avec son environnement immédiat. Les grands terrains qui entourent ces résidences ne sont pas de simples surfaces vacantes, mais des composantes essentielles de leur conception architecturale. Les morceler compromet cette unité d’origine, en affaiblissant le lien entre la maison et son contexte, ce qui nuit autant à sa lecture historique qu’à son appréciation esthétique.
En outre, la subdivision des terrains complique la mise en œuvre de stratégies de conservation efficaces. Une gestion cohérente du patrimoine requiert une vision d’ensemble qui englobe les bâtiments et leurs aménagements paysagers. Fragmenter ces ensembles, c’est nuire à la possibilité d’interventions globales et respectueuses de l’esprit du lieu.
En résumé, la densification par subdivision des terrains dans le secteur de la rue Elgin compromet la préservation du quartier, de son histoire, de son intégrité visuelle et de sa valeur symbolique pour la communauté. Elle risque de banaliser un patrimoine collectif irremplaçable, pourtant porteur de mémoire, d’identité et d’enracinement.
Nous sommes bien conscients que Granby, comme plusieurs villes du Québec, doit répondre à une croissance démographique soutenue. La densification urbaine, dans une optique durable, est une réponse légitime et nécessaire pour lutter contre l’étalement urbain, optimiser les infrastructures existantes et favoriser une mobilité plus verte.
Cela étant dit, nous sommes convaincus qu’il est possible de concilier densification et préservation patrimoniale, à la condition qu’on veuille bien exclure du développement domiciliaire les zones les plus sensibles, comme la rue Elgin. À notre avis, d’autres secteurs de la ville seraient sans doute plus propices à l’accroissement du parc immobilier, et ce, sans compromettre l’héritage patrimonial de Granby.