Le curé Gill et la paroisse Notre-Dame
Populaire malgré la sévérité de son caractère, cet homme laborieux a exercé sa charge curiale au cours d’une période déterminante de l’histoire de Granby, entre 1887 et 1916. Il peut, à juste titre, être considéré comme l’un des bâtisseurs de la ville.
Mario Gendron
Publié le 23 février 2017 | Mis à jour le 11 septembre 2024
Publié dans : Patrimoine, Religion
Au cours de la fin de semaine du 11 et 12 février 2017, les autorités municipales de Granby ont procédé à l’enlèvement du corps du curé Marcel Gill de la crypte de l’église Notre-Dame, où il reposait depuis près d’un siècle, pour l’inhumer dans le cimetière catholique de la rue Dufferin. Ce déplacement a été rendu nécessaire par le changement de vocation de l’église Notre-Dame, désormais dédiée à la culture et l’éducation. Le texte qui suit veut faire mieux connaître le curé Gill et, à travers l’exemple de son sacerdoce, mettre en lumière une époque cruciale de l’histoire de Granby.
Lorsque la dépouille mortelle du curé Marcel Gill revient à Granby pour être mise en crypte dans l’église Notre-Dame, le 2 novembre 1920, plus de 5 000 personnes sont rassemblées à la gare pour l’accueillir. Populaire malgré la sévérité de son caractère, cet homme laborieux a exercé sa charge curiale au cours d’une période déterminante de l’histoire de Granby, entre 1887 et 1916. Il peut, à juste titre, être considéré comme l’un des bâtisseurs de la ville.
De Saint-Thomas à Granby, 1850-1887
Marcel Louis Télesphore Gill naît en 1850, à Saint-Thomas de Pierreville, comté de Yamaska, au cœur de la région agricole prospère de la vallée de la rivière Saint-François. Élève brillant, il s’inscrit au séminaire de Joliette, où il est ordonné prêtre en 1875, à l’âge de vingt-cinq ans. À la suite d’une première affectation comme vicaire à Saint-André d’Acton (1875-1877), il occupe, pour de courtes périodes, la même charge dans plusieurs paroisses du diocèse de Saint-Hyacinthe. Or, quatre ans seulement après que l’abbé Gill ait prononcé ses vœux, l’évêque Louis-Zéphirin Moreau le juge suffisamment aguerri pour lui confier la direction de la paroisse Saint-Joachim, dans le comté de Shefford, au cœur des townships. De l’aveu même des prêtres qui exercent leur sacerdoce dans ces territoires biethniques et multiconfessionnels, la conduite des âmes et des hommes y est toujours plus difficile que dans les paroisses exclusivement canadiennes-françaises et catholiques, comme le nouveau curé est en mesure de le constater.
Ainsi, dès son installation dans la paroisse Saint-Joachim, le curé Gill se voit contraint de dénouer une affaire de déménagement de cimetière qui enflamme les Irlandais catholiques, avec qui il a aussi des démêlés concernant leur inclination à envoyer leurs enfants dans les écoles protestantes et anglophones, plutôt que dans les établissements catholiques et francophones. Or non seulement le curé Gill arrive-t-il à juguler les comportements rebelles des Irlandais de Saint-Joachim, mais les circonstances lui permettent aussi de révéler ses talents de bâtisseur et d’administrateur : il fait construire une sacristie, terminer l’intérieur de l’église et ériger la paroisse en municipalité civile et scolaire. Ce sont sans doute ces réalisations qui conduisent l’évêque de Saint-Hyacinthe à le muter dans une paroisse voisine, Notre-Dame de Granby, où les défis s’annoncent encore plus grands.
Notre-Dame, une paroisse en mouvement
Lorsqu’il prend en charge Notre-Dame de Granby, à la fin du mois de mars 1887, l’abbé Marcel Gill est aussitôt plongé dans la mouvance d’une paroisse en voie d’industrialisation, devenue un pôle d’attraction pour les gens de tous les horizons géographiques et sociaux. À cet égard, Notre-Dame constitue un cas d’espèce, car aucune des villes environnantes — Cowansville, Farnham ou Waterloo — ne connaît un développement industriel comparable à celui de Granby. Il ne s’agit plus pour le curé Gill de diriger une paroisse rurale immuable dans ses ancrages, comme Saint-Joachim, mais bien une communauté catholique dont les fondements sont constamment menacés par les assauts du développement industriel et de la modernité.
Au cours du mandat du curé Gill, qui s’étend sur trois décennies (1887 à 1916), la population de Granby est appelée à quadrupler, passant d’environ 1 500 à 6 000 personnes, un accroissement presque exclusivement attribuable aux Canadiens Français. Ce décollage démographique repose sur la création ou l’expansion de plusieurs entreprises industrielles : Granby Rubber, Payne Cigars, Miner Carriage, Empire Tobacco, Giddings, Mayer Thomas, Granby Sanitary Supply, Miner Rubber. Mais dans une économie où ce sont les lois du marché, et elles seules, qui dictent la marche des choses, le curé Gill devra composer avec les effets délétères de l’industrialisation, au premier chef avec la pauvreté de ses paroissiens.
Les défis d’un homme d’Église
Le premier rapport paroissial expédié par le curé Gill à l’évêque Moreau, en 1887, exprime le désarroi d’un homme confronté à une réalité qui lui est étrangère, et qui anticipe l’ampleur du travail qu’il lui faudra accomplir au cours des années suivantes. Passant en revue l’état des ressources immobilières de Notre-Dame, le curé constate que l’église est délabrée et trop petite, sans possibilité de l’agrandir, et que la sacristie « laisse à désirer ». Le presbytère a été rénové, mais les réparations ont été si mal faites que « les rats et les souris passent à travers du solage », et la grange « est si pauvre et même si dangereuse que j’ai mis mon cheval en vente », déplore-t-il; le cimetière situé derrière l’église, presque complètement rempli, devra bientôt être déménagé. Quant à la dîme, qui sert à rémunérer le curé, elle est insuffisante : « C’est à faire regretter Saint-Joachim », ose-t-il écrire à son évêque.
De tous les problèmes qu’il identifie dans sa nouvelle paroisse, c’est le travail des enfants dans les manufactures, qu’il perçoit comme un vecteur d’impiété et d’ignorance, qui bouleverse le plus le curé Gill. Au fil des ans, il dénoncera cette situation à plusieurs reprises, établissant toujours un lien entre le travail des enfants et l’analphabétisme de la population.
Le travail des enfants
« Les parents engagent leurs enfants par contrat écrit, pour des termes de trois ans, aux différentes manufactures. Cette année une quinzaine d’enfants d’âge à venir au catéchisme, en ont été empêchés par ces contrats. J’ai déjà vertement blâmé une semblable conduite de la part des parents. On spécule sur le travail de l’enfant comme sur le travail de la bête de somme. Les enfants ne vont pas aux écoles et comme ça me paraît avoir été la conduite des gens depuis bien longtemps : on se rend facilement compte de l’extrême ignorance d’un très grand nombre. »
Marcel Gill, « Rapport de la paroisse du Très saint et Immaculé cœur de Marie de Granby pour 1887 ». Archives de l’évêché de Saint-Hyacinthe.
Ainsi, la tâche de réformer l’état matériel et spirituel de la paroisse Notre-Dame s’avère donc ardue, en partie à cause de la grande mobilité des habitants de Granby, dont le quart environ se renouvelle chaque année, mais aussi en raison de la libéralisation des mœurs qui accompagne le phénomène d’urbanisation. Dans chacun de ses rapports annuels, le curé Gill s’alarme de la mauvaise conduite de plusieurs de ses paroissiens. À son grand déplaisir, les garçons et les filles qui convergent de partout pour travailler en usine et qui s’installent comme pensionnaires, échappant ainsi à la vigilance de leurs parents, se fréquentent ouvertement, sortent la nuit et pratiquent la danse. Les jeux d’argent et l’ivrognerie sont répandus.
De surcroît, la présence des protestants impose au curé une vigilance et un discernement de tous les instants, plusieurs catholiques risquant, au moindre interdit, de basculer du côté de la religion des riches et des puissants. Certains catholiques n’hésitent pas à brandir la menace de se marier devant les ministres protestants si on leur refuse une dispense pour cause de consanguinité ou d’union interreligieuse. Et comment lutter contre le fléau de l’ivrognerie quand cinq ou six débits de boisson sans permis, tenus par des francs-maçons (protestants), ont pignon sur rue dans la paroisse ? « Il n’est pas facile de les combattre », admet le curé Gill; et si la Société de tempérance rassemble 680 associés en 1890, « peu d’entre eux en observent les règles ». Quant au travail en manufacture, il entrave non seulement l’observance des fêtes religieuses, dont les employeurs protestants ne reconnaissent pas la légitimité, mais il est si harassant qu’il fait aussi obstacle à la pratique du jeûne.
Les mariages civils
Quelques paroissiens échappent au sacrement du mariage en se rendant aux États-Unis pour s’unir civilement; à leur retour à Granby, le curé Gill se donne comme mission de les remarier religieusement. « L’été dernier deux individus, Joseph Renauld et Helena Mailhot, ont passé les lignes pour se marier [civilement] devant un magistrat. Depuis ce temps je les ai persécutés en leur faisant refuser un refuge partout où ils le demandaient. J’ai enfin réussi à leur faire nommer un tuteur. Il ne s’agit plus que de les marier. Je les ai séparés en attendant […]. Il y a quelques années ces mariages étaient de mode ici et tous les ans on en voyait trois ou quatre. »
Lettre du curé Gill à l’évêque de Saint-Hyacinthe, 19 mars 1891. Archives de l’évêché de Saint-Hyacinthe.
Le curé Gill, un bâtisseur
De tous les défis qui s’offrent à lui au début de son mandat, le curé Gill choisit de s’occuper en priorité de l’éducation des garçons et de la construction d’un collège, dont l’extérieur est terminé à la fin de 1888. Mais encore faut-il trouver une communauté religieuse désireuse d’y enseigner. Les syndics (commissaires d’école), le curé Gill et quelques notables s’accordent aussitôt sur l’idée d’engager les frères maristes, qui ont la réputation de professer un enseignement de qualité; on devra cependant les faire venir de France. Le curé Gill consacre beaucoup d’énergie à cette cause, écrivant lettre sur lettre et négociant sans relâche avec les maristes, jusqu’à les convaincre, en mars 1890, d’envoyer cinq frères enseignants à Granby. Deux semaines avant d’obtenir une réponse définitive de la communauté française, l’abbé Gill écrit à l’évêque Moreau, avec une pointe d’ironie, dans quelle mesure il s’est investi dans cette mission : « S’il faut que nous venions à bout de notre affaire avec les frères, je me trouverai encore dans l’embarras ne sachant plus que demander dans mes prières.»
Au cours des années suivantes, le curé Gill n’a de cesse de s’occuper d’éducation, s’impliquant pour que les sœurs de la Présentation de Marie obtiennent la construction d’un externat et la pleine propriété de leur couvent, ou encore pour que les maristes soient en mesure d’enseigner au niveau primaire en agrandissant leur collège. Par cet appui à la cause de l’éducation, le curé Gill a l’intime conviction de travailler à l’amélioration des conditions de vie de ses paroissiens.
L’abbé Gill est un homme pratique : il sait que le manque de moyens financiers peut entraver l’évolution de sa paroisse. Au moment de son installation à Notre-Dame, au printemps de 1887, les finances de la fabrique sont dans un état déplorable et tout, aux dires du nouveau curé, est à reconstruire, église, sacristie et presbytère. Or les gens sont si pauvres qu’ils peinent à payer leur dîme; comment feraient-ils pour assumer les coûts associés à la reconstruction complète des infrastructures religieuses ?
Au cours de la dernière décennie du XIXe siècle, le relèvement des finances de la paroisse Notre-Dame est grandement favorisé par la multiplication des paroissiens, dont le nombre passe de 1 662 à 3 691 entre 1890 et 1899. Cet afflux de familles catholiques venues travailler dans les manufactures gonfle de 40 % les revenus annuels de la fabrique et double le montant de la dîme, le faisant passer de 700 $ à 1 400 $.
Mais si les finances de la fabrique Notre-Dame s’améliorent, la majorité des paroissiens reste pauvre et réfractaire à l’idée d’engager la communauté dans des dépenses extraordinaires.
Aussi, lorsque l’évêque de Saint-Hyacinthe, en 1892, informe le curé Gill de son intention de construire une nouvelle église et un presbytère dans la paroisse Notre-Dame, soulève-t-il une vive opposition chez les paroissiens.1 Aussitôt mobilisés, ces derniers font circuler une pétition en faveur de la rénovation de l’église existante, la jugeant toujours adéquate, et la construction d’un presbytère. Au nombre des 112 signataires de cette requête, dont la moitié est incapable d’écrire son nom, on remarque la présence de plusieurs notables de la paroisse, le docteur Gatien, O. N. Paré et Louis Paré en tête de liste. Le projet de construction d’église en voie d’être rejeté, le curé Gill en vient à cette conclusion : « Ça a tout l’air comme si on voulait retarder indéfiniment la reconstruction de l’église, ou qu’il faudrait [la] retarder de 6 à 8 ans ». Cette dernière affirmation se révèle prémonitoire.
En effet, six années après une première tentative infructueuse, les autorités religieuses réactivent le projet de construction d’église, bien décidées à le voir aboutir; grâce au zèle du curé Gill et à l’augmentation constante des paroissiens, les chances de succès paraissent bien meilleures en 1898 qu’elles ne l’étaient en 1892, et ce, malgré l’aspect monumental et coûteux de la nouvelle entreprise.
La construction de l’église Notre-Dame constitue l’apogée du mandat curial de l’abbé Gill. Enclenché en avril 1898 par une requête du vicaire général du diocèse de Saint-Hyacinthe, le projet trouve sa justification dans l’augmentation rapide du nombre des paroissiens, à qui il faut garantir « une plus grande facilité d’assister aux offices religieux et de fréquenter les sacrements. » Quant au financement de ces constructions — église et sacristie —, il sera assuré grâce aux revenus ordinaires de la fabrique et aux cotisations volontaires « à être prélevées au moyen de l’œuvre [du sou] de Saint-Antoine de Padoue ». Des bazars seront aussi organisés et, si nécessaire, un emprunt sera contracté. Cette façon de faire est novatrice, le financement des constructions d’églises se faisant habituellement par une surtaxe, une « répartition » sur la propriété foncière.
Or, aussitôt accepté par les francs tenanciers réunis en assemblée, le projet de construction se heurte à l’opposition de certains paroissiens. Dès le 9 mai, trois requêtes demandant à l’évêque Moreau le report des travaux pour quatre ans circulent dans la paroisse; on y invoque que cette église coûtera « quatre-vingt mille dollars ou plus » et que les paroissiens « ont été considérablement taxés pour les fins du culte depuis nombre d’années et qu’ils doivent encore près de cinq mille piastres sur le coût du presbytère ». Les requérants font aussi remarquer à l’évêque qu’avec l’ajout d’un vicaire, le temple actuel pourrait suffire aux besoins de la population catholique. Les trois requêtes recueillent 86 signatures, mais aucun notable, à notre connaissance, ne les endosse.
Lorsqu’il apprend qu’une délégation opposée à la construction de l’église Notre-Dame s’est rendue à Saint-Hyacinthe plaider sa cause devant l’évêque, le curé Gill organise aussitôt une riposte, qu’il réserve pour son sermon dominical. Dans un vibrant plaidoyer, livré « de façon à ne pas brusquer personne », il use de toute la gamme des arguments afin de transmettre un message d’obédience à ses paroissiens. D’abord, il les met en garde « contre les artifices du démon qui profite du temps d’une construction d’église pour entrer dans une paroisse ». Ensuite, il exalte leur sens du devoir et leur fierté, les implorant de ne pas entraver le projet de construction en cours, « comme la chose se voit dans la plupart des paroisses où on a construit une église ». Finalement, il fait appel à leurs sentiments, les félicite pour les bons rapports qu’ils ont toujours entretenus avec leur curé et exprime l’espoir « que ce ne sera pas la construction d’une église qui détruira l’harmonie ».
Les opposants de la première heure réduits au silence, le curé Gill et les deux marguilliers désignés par les francs tenanciers sont en mesure d’entreprendre les étapes préliminaires à la construction de l’église Notre-Dame : emprunt de 25 000 $, achat d’un terrain, choix de l’architecte Casimir Saint-Jean et du constructeur Boileau & Frères, ouverture de la rue Saint-Antoine, entre autres conditions. Parmi toutes les tâches qu’il doit accomplir, le curé Gill priorise l’embrigadement des zélateurs et zélatrices dans l’Œuvre du sou de Saint-Antoine, une association dont le mandat est d’assurer le financement d’une partie des travaux. Ils seront bientôt 200 bénévoles à parcourir la paroisse, faisant du porte-à-porte et recueillant la moindre somme auprès des commerçants, des professionnels, des propriétaires, des locataires et des pensionnaires.
Mais l’Œuvre du sou de Saint-Antoine se révèle bien insuffisante à couvrir les coûts associés à la construction de l’église Notre-Dame. Ainsi, en 1899, année du début des travaux, l’Œuvre ne permet de recueillir que 1 079 $; quant aux bazars qu’on organise ponctuellement, ils ne génèrent que quelques centaines de dollars de profit.
Afin de gonfler les coffres de la fabrique pour éviter d’endetter les générations futures au-delà de leur capacité à rembourser, le curé Gill met sur pied un stratagème qui, tout efficace qu’il soit, n’est pas sans soulever la controverse. Tablant sur la piété de ses ouailles et sur l’obligation qui leur est faite d’assister à la messe dominicale, le curé impose à tous les paroissiens de verser une contribution de cinq cents à la quête. La mesure est lucrative : d’un peu moins de 300 $ en 1896, le revenu des quêtes passe à 3 300 $ en 1899.
Si la quête obligatoire permet de recueillir des sommes importantes, elle ne va pas sans créer de l’insatisfaction dans la frange la plus pauvre de la population. Au début de 1900, dans une longue lettre qu’elle expédie à l’évêque Moreau, une paroissienne, qui signe des initiales M.C.D., dénonce le mode de sollicitation mis en place par le curé Gill, qu’elle juge vexatoire. Ainsi, écrit-elle, les collaborateurs du curé exercent des pressions indues sur les plus démunis afin qu’ils consentent à verser 5 cents à la quête, une attitude qui en conduit plusieurs à abandonner la messe du dimanche. Pour exemple, elle évoque les difficultés d’une jeune fille de onze ans, employée de manufacture, humiliée publiquement pour son incapacité à verser sa contribution. « Je vous dis, Monseigneur, [que] cette affaire est bien pénible pour les pauvres », ajoute la protestataire. Pourquoi, s’interroge-t-elle, ne demande-t-on pas davantage aux plus riches de la paroisse, commerçants, locateurs et cultivateurs, eux dont la prospérité dépend de la clientèle des plus démunis ? Et la femme de conclure : « Que les propriétaires de Granby fassent comme dans les autres paroisses, qu’ils bâtissent leur église sans maltraiter les pauvres comme ils font. »
Quoi qu’il en soit, le choix d’un mode de financement exclusivement basé sur les contributions volontaires se révèle rapidement problématique, ce qui force les autorités religieuses à interrompre la construction de l’église dès le sous-sol terminé, en 1900. C’est là que les messes seront célébrées jusqu’à ce que les finances de la fabrique soient rétablies, quatre ans plus tard, et qu’on puisse procéder à l’achèvement de l’édifice.
Le parachèvement de l’église Notre-Dame met un terme aux grands travaux d’infrastructure religieuse et scolaire. Le curé Gill peut désormais se consacrer à son sacerdoce et aux affaires courantes de la paroisse. Il s’intéresse aussi au développement de sa ville et s’improvise tour à tour urbaniste, hygiéniste et paysagiste. À ce propos, l’historien amateur Aimé Dorion, dans un exposé qu’il donne vers 1959 au club des Francs, affirme que « le grand nombre d’arbres qui embellissent aujourd’hui plus d’un secteur de notre ville sont là son œuvre ».
Carte souvenir de la bénédiction des autels, des cloches et de l’église du Coeur très pur de Marie de Granby, jeudi, le 24 mai 1906. (SHHY, coll. Photographies Granby et région, P070-S27-SS12-SSS1-D8-P1)
Au début de 1911, l’incendie du collège des frères maristes permet au curé Gill d’exercer de nouveau ses talents de bâtisseur, puisque c’est à lui qu’on confie la responsabilité de veiller à la reconstruction de l’édifice. Inauguré en 1912, le nouveau collège sera placé sous la direction des Frères du Sacré-Cœur.
Affaibli depuis plusieurs années par la maladie, le curé Gill prend sa retraite en 1916. Les quatre années qu’il lui reste à vivre, il les écoule dans la paroisse dont il a été curé pendant trois décennies, aidant parfois son successeur dans sa lourde tâche curiale. Il ne devait quitter Granby pour Saint-Hyacinthe qu’en septembre 1920, soit environ un mois avant son décès et son retour immédiat dans sa ville d’adoption pour y être mis en crypte.
« M. Gill a été essentiellement un curé. Toutes ses activités étaient pour sa paroisse. Pour elle, il sacrifiait tout ce qui lui était personnel. C’était le centre de sa vie. » Cette notice nécrologique, parue dans un journal non identifié, donne la pleine mesure de l’homme qui a accompagné les catholiques de la paroisse Notre-Dame de Granby au cours d’une période charnière de l’histoire de leur ville.
- Au sujet de l’église Notre-Dame de Granby, voir aussi Johanne Rochon. (2014, 19 novembre) L’église Notre-Dame, histoire et trésors. ↩︎