Le soldat Réal Galipeau revient de guerre

Des 907 soldats canadiens morts au cours du raid sur Dieppe, en août 1942, 119 font partie des Fusiliers du Mont-Royal. (Wikicommons)
Des 907 soldats canadiens morts au cours du raid sur Dieppe, en août 1942, 119 font partie des Fusiliers du Mont-Royal. (Wikicommons)

Il est difficile d’imaginer toutes les privations et les souffrances qu’ont dû endurer les soldats qui, au cours de la Deuxième Guerre mondiale, étaient partis outre-mer combattre le nazisme. Parmi ceux qui ont la chance de revenir de cette périlleuse mission, on trouve le granbyen Réal Galipeau, des Fusiliers du Mont-Royal.

Mario Gendron

Publié le 28 octobre 2014 | Mis à jour le  11 septembre 2024

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Il est difficile aujourd’hui d’imaginer toutes les privations et les souffrances qu’ont dû endurer les soldats qui, au cours de la Deuxième Guerre mondiale, étaient partis outre-mer combattre le nazisme. Parmi ceux qui ont la chance de revenir de cette périlleuse mission, on trouve le quartier-maître Réal Galipeau, des Fusiliers du Mont-Royal, un « p’tit gars » de la rue Saint-Charles, à Granby, dont le récit est recueilli à chaud par La Voix de l’Est en juin 1945. Son témoignage est d’autant plus intéressant qu’il concerne aussi Maurice Viens et Elphège Brodeur, deux autres granbyens, qui, comme Galipeau, ont participé au débarquement raté de Dieppe avec les Fusiliers et ont connu l’enfer des camps de concentration allemands.

Mario Gendron
Réal Galipeau, des Fusiliers du Mont-Royal, un « p’tit gars » de la rue Saint-Charles, à Granby. (La Voix de l’Est, 27 juin 1945)
Réal Galipeau, des Fusiliers du Mont-Royal, un « p’tit gars » de la rue Saint-Charles, à Granby. (La Voix de l’Est, 27 juin 1945)

« “Il faut avoir vécu dans un camp de concentration allemand pour se faire une idée exacte de ce qu’y ont enduré les détenus et tout ce qui a été écrit et publié à ce sujet est malheureusement trop vrai.” C’est ce que nous déclarait le quartier-maître Réal Galipeau, de Granby, fils de Mme Ursuline Galipeau, rue Saint-Charles, qui est de retour dans sa famille depuis vendredi dernier, après avoir passé près de trois ans dans les camps allemands en compagnie d’autres détenus dont Maurice Viens et Elphège Brodeur, tous deux de cette ville et membres des Fusiliers [du] Mont-Royal. Le quartier-maître Galipeau nous donne un récit de la vie qu’il vécut depuis son enrôlement, en avril 1940. C’est également l’histoire de ses compagnons que nous n’avons pas pu rencontrer.

À la déclaration de la guerre, Galipeau s’enrôle et, le 1er juillet 1940, il commençait son grand voyage. En Islande en premier lieu et ensuite en Angleterre. Entraînement dur du commando, et du raider de nuit, pratiques diverses à bord de bâtiments de guerre, stage de quelques mois à l’île White, où il apprenait à escalader des rochers dont la hauteur varie de 100 à 500 pieds, exercices divers en prévision du raid de Dieppe.

« Nous avons dû manger du chien pour ne pas crever de faim »

Réal Galipeau

Bien entraînés, lui et ses compagnons quittent leur camp et se rendent par camion à New Heaven, sur la Manche. À 10 heures du soir, le 18 août, il s’embarque en compagnie de 6 000 autres Canadiens français. À 2 heures du matin, alors qu’ils sont à quelque trois milles des côtes françaises, la fusillade commence, canons, mortiers, mitrailleuses, toute l’artillerie allemande est là pour les recevoir. Le débarquement s’effectue non sans pertes. Des morts et des blessés gisent ça et là. Galipeau atteint finalement la plage de Dieppe, mais il touché au bras et à la jambe droite, à la tête. Des compagnons lui portent secours mais ils sont faits prisonniers par des gardes “SS” allemands. Cependant, on le traite humainement; il est transporté à l’hôpital de Dieppe, où il reçoit des soins des médecins et chirurgiens expérimentés et adroits. On le conduit ensuite à l’hôpital de Rouen (France) où il subit des interventions chirurgicales.

« Ces soldats sans armes […] qu’on avait habillés pour un autre destin ». Louis Aragon. (Wikicommons)

Après un stage [une convalescence] de quelques mois, il est transféré au camp de concentration de Landsdorff, en Haute Silésie (Pologne). Il demeure au Stalag 8-b jusqu’au 27 janvier 1943 et doit porter des chaînes pendant une période de 11 mois. En janvier 1943, il est transféré au Stalag 2-d en Poméranie et il y passe deux ans. C’est alors que l’évacuation commence. Les prisonniers, bien gardés, partent à pied vers l’Ouest. La première journée, ils couvrent une distance de 36 milles. Ils marchent pendant trois jours et se reposent une journée. Après 36 jours de pérégrinations, on parvient à une trentaine de milles au sud-est du Danemark. Les prisonniers sont rendus à bout. Plusieurs ne peuvent plus continuer, trop faibles pour se maintenir sur leurs pieds. Ils sont placés dans des hôpitaux et les plus vigoureux parqués dans des wagons de fret par groupe de 50 hommes. Avec ça très peu de nourriture : un pain pour un voyage prévu de trois jours, mais qui en prit finalement sept à cause des nombreux bombardements. Plusieurs sont morts en chemin, d’autres à l’arrivée. Finalement, les troupes alliées purent libérer ces prisonniers qui sont conduits à Hambourg puis à Bruxelles et ensuite à Londres par avion.

Le Stalag 2-d, en Pologne, où les soldats Réal Galipeau, Maurice Viens et Elphège Brodeur, tous trois de Granby, seront internés de 1943 à 1945. (Wikicommons)

Notre interlocuteur nous raconte qu’il vit à Hanovre des civils qui venaient d’être libérés. Il y avait un groupe qui comprenait un cardinal, 7 évêques, des ambassadeurs, des médecins, des avocats, des maquisards et même des aviateurs canadiens-français. Ces gens pesaient tous moins de 100 livres chacun. “De véritables squelettes humains”, nous dit Galipeau.

“En Angleterre, nous avons été choyés, dit-il, comme des enfants. Partout nous avions la priorité”. À bord du magnifique [paquebot] L’Île de France, il arriva à Halifax au cours de la semaine dernière et se rendit immédiatement à Granby où il jouit d’un repos bien mérité. »