Les premières automobiles à Granby
Dans un texte paru dans le Granby Leader-Mail du 5 avril 1929, Walter R. Legge évoque les débuts de l’automobile à Granby, en racontant la petite histoire des quatre premiers véhicules moteurs de la ville.
Cecilia Capocchi
Publié le 14 juillet 2016 | Mis à jour le 17 juin 2024
Publié dans : Transport
Dans un texte paru dans le Granby Leader-Mail du 5 avril 1929, Walter R. Legge évoque les débuts de l’automobile à Granby, en racontant la petite histoire des quatre premiers véhicules moteurs de la ville. Bien avant que l’exposition Granby International, qui en est à sa 35e édition en 2016, fasse de Granby la capitale des voitures anciennes, on savait déjà que ce mode de transport allait transformer la face du monde. Grand amateur d’automobiles, Walter R. Legge était aussi propriétaire du Granby Leader-Mail.
Cecilia Capocchi
Traduction et adaptation
Il y a quelque temps, deux de nos concitoyens ont eu une discussion à savoir qui avait été le premier à conduire une automobile. L’un prétendait être le détenteur de la première plaque d’immatriculation de Granby, l’autre affirmait avoir conduit une automobile quatre ans avant que l’enregistrement des véhicules devienne obligatoire. De cette discussion sont nées des réminiscences passionnantes sur les premières automobiles à Granby.
Lorsqu’on observe les routes achalandées d’aujourd’hui, il est difficile de croire qu’il y a vingt-huit ans à peine, les automobiles étaient presque inconnues dans la région; pourtant, en 1901, Granby n’en comptait aucune. Les choses allaient toutefois changer avec l’exposition panaméricaine de Buffalo, tenue la même année, où Simon Page [hôtelier de Granby] avait décidé de se rendre pour faire l’essai d’une automobile et, peut-être, l’acheter. C’est W. J. Walker, qui l’accompagnait, qui nous fournit tous les détails de cette affaire. À l’exposition, les deux hommes avaient été incapables de trouver une automobile complètement construite par un seul fabricant, bien que plusieurs manufacturiers exposaient des pièces permettant d’en assembler. Toutes ces pièces étaient destinées à des voitures mues à la vapeur, la chaudière étant chauffée grâce à un petit brûleur à essence. On disait donc de ces automobiles qu’elles marchaient à vapeur et à essence. Après quelques difficultés, les deux hommes achetèrent un brûleur fabriqué à Dayton, Ohio, un moteur construit à Boston, des réservoirs d’une compagnie dont on a oublié le nom, un châssis et une carrosserie de la compagnie Conrad Carriage de Buffalo et des pneus de la New York Belting and Packing Company. Ces derniers étaient faits de caoutchouc plein avec un trou d’un pouce au centre. Quant à la carrosserie, elle était de type « dosado », c’est-à-dire à quattre places, dos à dos. La direction était contrôlée par une barre plutôt que par un volant, il n’y avait ni phares ni toit et, à la place du klaxon, on trouvait une cloche — actionnée par le pied — sur le tableau de bord.
Les différentes pièces de l’automobile furent envoyées à Granby et assemblées par W. J. Walker dans la grange de Simon Page. Quand le travail d’assemblage fut terminé, au cours de l’hiver 1901-1902, encore fallait-il se procurer du carburant. Or, à cette époque, on ne pouvait pas obtenir de l’essence à Granby et un vendeur de ce produit très explosif devait détenir un permis semblable à celui requis aujourd’hui [1929] pour la vente de la dynamite. Finalement, Simon Page réussit à se faire expédier cinq gallons d’essence de Montréal par l’intermédiaire de la pharmacie de J. E. Dozois.
Avec Simon Page comme passager et W. J. Walker comme chauffeur, la première automobile de Granby pouvait entreprendre sa promenade inaugurale. Elle roula jusqu’à l’hôtel Windsor, alors dirigé par C.H. Murray, où une foule se rua pour voir la calèche sans chevaux. Monsieur Murray fut appelé à l’extérieur et sa première remarque fut : « Va-t-elle fonctionner ? ». Et Simon Page de répondre : « Certainement qu’elle va fonctionner. Fais-la tourner en rond », ordonna-t-il au conducteur. Les gens libérèrent suffisamment la rue pour que W. J. Walker puisse faire un cercle avec l’automobile. « Fais-la reculer » et la voiture recula de quelques pieds. « Maintenant, fais-la avancer » et la voiture avança. Ce furent les débuts de la première automobile de Granby.
Simon Page devint un passionné d’automobiles, à l’instar des fanatiques de l’aéronautique d’aujourd’hui [l’aérodrome de Granby a été inauguré en 1929]. Ainsi, en 1903, il ouvrait ce qu’on dit être le premier « garage » de Montréal, dans la partie nord de la rue Guy. Or, dans cet établissement, on ne faisait pas l’entretien des automobiles, mais plutôt leur location. Dans ce but, Simon Page avait acheté trois voitures de marque Packard qui, avec la voiture assemblée à Granby, formaient la flotte. Une des trois Packard est encore en bon état et, il y a peu de temps, elle a été achetée de la fille de Simon Page par la compagnie Packard et exposée au Salon de l’auto de Montréal de 1928.
L’expérience de Simon Page dans la location d’automobiles se révéla un échec et l’entreprise fut vendue à une compagnie de France dont on a oublié le nom. À peu près à la même époque, Simon Page s’improvisa promoteur de courses d’automobiles, dont il fut un des pionniers. Avec six voitures qu’il avait achetées, il organisa des courses à différentes expositions, mais cette aventure s’avéra, elle aussi, un insuccès financier.
On raconte plusieurs autres histoires sur les péripéties de la première automobile de Granby. Ainsi, l’été suivant son assemblage [1902], Simon Page et W. J. Walker se rendirent aux courses de chevaux, à Saint-Pie, où la voiture, encore une fois, attira une grande foule. À la vue de cet étrange véhicule, le public perdit tout intérêt pour les courses et cette apparition impromptue risqua même de provoquer une émeute. L’ordre fut rétabli lorsque Simon Page accepta de faire rouler son automobile sur la piste afin que tout le monde puisse la voir, après quoi les courses de chevaux purent continuer.
Lui aussi très intéressé par les voitures, J. H. McKechnie devint propriétaire du deuxième véhicule moteur de Granby. Il faut savoir qu’à l’époque où il assemblait l’automobile de Simon Page, W. J. Walker était maître mécanicien à la Granby Rubber, où J. H. McKechnie assumait des fonctions dirigeantes. Après avoir incité son employé à aider Simon Page dans l’assemblage de sa voiture, J. H. McKechnie commanda les pièces pour en fabriquer une autre. Or avant que ces dernières soient expédiées, la Locomobile fit son apparition sur le marché et J. H. McKechnie en acheta une immédiatement d’un détaillant établi à Tarrytown, dans l’État de New York. De façon quasi simultanée, monsieur Guillet, de Marieville, achetait une Locomobile du même modèle. Les deux voitures étaient équipées de moteurs à vapeur avec brûleurs à essence.
Un matin, J. H. McKechnie et W. J. Walker partirent pour aller visiter monsieur Guillet, à Marieville, dans le but de comparer les deux Locomobiles. Ce voyage de 24 milles [39 km] représentait un assez long trajet pour l’époque et J. H. McKechnie et W. J. Walker se félicitèrent d’être de retour dans la même journée, n’ayant connu qu’une seule petite mésaventure pendant tout le voyage.
À cette époque pionnière, aucune voiture n’était immatriculée, une obligation qui date de quatre ou cinq ans après les faits relatés. Ainsi, en 1906, la voiture de J. H. McKechnie fut une des premières à afficher une plaque d’immatriculation, portant le numéro 18. Chose curieuse, les plaques n’étaient pas fournies par les autorités, le propriétaire d’une automobile recevant toutes les instructions pour fabriquer la plaque lui-même.
On croit que la troisième automobile de Granby fut la Ford deux cylindres de M. McCanna. Peu de temps après en avoir fait l’achat, ce dernier conduisit sa voiture à Saint-Paul-d’Abbotsford, où un groupe de gens de Granby pique-niquait. Au moment de repartir, la voiture se fit capricieuse et refusa de fonctionner. Finalement, elle fut attachée au véhicule hippomobile dans lequel les pique-niqueurs voyageaient et traînée jusqu’à Granby, pendant que M. McCanna, l’air honteux, la dirigeait. Telles étaient les vicissitudes des pionniers de l’automobile.
La Orient Buckboard de M. Meyer aurait été la quatrième automobile à être vue à Granby. Le nom de cette marque tient au fait qu’elle ressemblait à un buckboard, une voiture à cheval utilitaire à quatre roues. La Orient Buckboard possédait un siège placé au centre de la carrosserie, fixé sur des planches étroites attachées aux axes avant et arrière. La flexibilité des planches remplaçait tout ressort. Le moteur de cette automobile avait un cylindre et était placé au niveau de l’axe arrière. Quand une de ces voitures apparaissait dans la rue, une foule se formait pour l’observer; sans doute que, de nos jours, on trouverait encore plus de gens intéressés à la voir.