Médecins et patrimoine à Roxton Pond

Famille du Dr Émile Labelle et Rose-Anna Bienvenu
Le Dr Émile Labelle, son épouse Rose-Anna Bienvenu et leurs enfants, en 1915. (©SHHY, coll. Photographies Granby et région, P070-H017-A1-3)

Le médecin, tout comme le notaire et le curé, fait partie de l’image classique que l’on se fait d’un village. Roxton Pond a le privilège de posséder deux résidences patrimoniales ayant appartenu à des médecins qui ont laissé leur marque dans l’histoire de la municipalité, Jean-Philippe Leduc (1875–1891) et Émile Labelle (1912–1935). C’est un peu…

Johanne Rochon et Chantal Lefebvre

Publié le 5 juillet 2012 | Mis à jour le  11 septembre 2024

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Le médecin, tout comme le notaire et le curé, fait partie de l’image classique que l’on se fait d’un village. Roxton Pond a le privilège de posséder deux résidences patrimoniales ayant appartenu à des médecins qui ont laissé leur marque dans l’histoire de la municipalité, Jean-Philippe Leduc (1875–1891) et Émile Labelle (1912–1935). C’est un peu leur histoire qu’on raconte à travers cette présentation patrimoniale.

La Maison du Dr Jean-Philippe Leduc

853, rue Principale

Maison du Dr-Leduc Roxton Pond
La maison du Dr Jean-Philippe Leduc, premier médecin du village, construite vers 1880. (©SHHY, Chantal Lefebvre, photographe, 2006)

Le premier document d’une quelconque utilité concernant l’histoire de cette propriété date de 1871. Il concerne la vente par le maître peintre Joseph Pavois d’une propriété de trois arpents en superficie, avec maison et remise, au cordonnier Jean-Baptiste Cadieux, le tout pour 300 $. Le cordonnier Cadieux conserve la propriété jusqu’en 1875, alors que Jean-Philippe Leduc, médecin de Sainte-Pudentienne, l’acquiert pour 340 $. C’est ce dernier qui aurait construit la maison actuelle, probablement peu après son mariage, au tournant des années 1880. En 1891, Leduc est père de six enfants et il héberge aussi sa mère dans cette grande résidence qui compte dix pièces.

Le docteur Jean-Philippe Leduc a été l’un des signataires de la requête demandant la municipalisation du village de Sainte-Pudentienne  (Roxton Pond) en 1886, avant d’être élu comme deuxième maire de la municipalité, de 1886 à 1891. À ce titre, le médecin chirurgien fait adopter, en 1891, un important règlement concernant la salubrité publique, la protection contre les incendies, la circulation et la sécurité des citoyens. Or, au cours de la même année, le Dr Leduc quittait Roxton Pond, préférant exercer sa profession à Sainte-Marie-de-Monnoir. Mais le vide était immédiatement comblé par l’arrivée du docteur Séraphin Bergeron, qui se portait acquéreur de la résidence de son prédécesseur pour 2 250 $. Dans l’acte de vente, il était clairement stipulé que le Dr Leduc ne pouvait plus exercer sa profession à Roxton Pond sans encourir 500 $ d’amende. Entre 1893 et 1902, la grande maison de la rue Principale traverse une décennie de turbulence, changeant de mains plusieurs fois, passant même entre celles du shérif avant d’être vendue au docteur Aurélien Constantineau, qui réside à Roxton Pond depuis 1897. Lorsque ce dernier quitte le village pour s’établir définitivement à Montréal, c’est le « populaire marchand » Joseph Archambault, qui vient de louer « ses magasins, boucheries, résidences privées et dépendances, le tout en face de l’église catholique, à la société Donat Manseau de Wotton », nous dit le Journal de Waterloo du 7 mai 1908, qui s’installe dans la « jolie propriété qu’il a achetée dernièrement du docteur Constantineau ». Le nouvel acquéreur avait été élu conseiller du village en 1894, puis avait occupé le poste de maire de 1902 à 1908.

Après 1915, le grand nombre de transactions concernant cette propriété rend inutile d’en relater l’histoire. Ainsi, jusqu’en 1973, on a relevé plus de vingt changements de propriétaire.

Description architecturale

La maison du docteur Leduc, qui s’inscrit dans l’éclectisme victorien de la fin du XIXe siècle, surprend et étonne par la complexité et l’amalgame de ses nombreux volumes inspirés de divers styles architecturaux. Cette recherche d’effets nouveaux se traduit notamment dans l’asymétrie de la structure, accentuée par la présence d’une tour d’angle inspirée du style néo-Queen Anne, la forme particulière des ouvertures situées à l’étage supérieur, dont la forme en pointe se veut une réminiscence des fenêtres ogivales caractérisant le style néogothique, ainsi que dans la forme de la toiture en tôle, qui illustre un certain rapprochement des toits mansardés identifiant le style Second Empire. La structure principale, qui se caractérise par son élévation sur deux étages et son recouvrement en clins de bois, est complétée par la présence d’une vaste galerie couverte, délimitée par une série de fins piliers ornés de boiseries décoratives et surmontée d’un balcon couvert, disposé en façade et fermé à hauteur d’appui.

Maison du Dr Émile Labelle

929, rue Principale

Maison du Dr Émile Labelle Roxton Pond
La maison d’un étage et demi est agrandie en 1932, pour permettre, entre autres, d’y aménager une pharmacie et un bureau. (©SHHY, Chantal Lefebvre, photographe, 2006)

Construite vers 1873 par le menuisier James A. Honey, puis vendue 450 $ à « Demoiselle » Marguerite Dion, du village de Roxton Pond, cette maison est surtout connue comme celle de la famille Labelle, plus précisément celle du « médecin des pauvres », le docteur Émile Labelle.

Après avoir appartenu à la famille Dion-Dupaul pendant plus de trente ans, la résidence est vendue en 1906 pour 1 200 $ à Henri Langelier, cultivateur de la paroisse de Sainte-Pudentienne, qui la garde six ans avant de la revendre au Dr Labelle, en 1912, pour la somme de 1 800 $. La maison possède alors un étage et demi. En 1932, son agrandissement permettra, entre autres, d’y aménager une pharmacie et un bureau.

Entre le moment où il obtient son diplôme de médecine, en 1908, et son installation définitive à Roxton Pond, en 1912, le docteur Labelle pratique au village de Sainte-Cécile-de-Milton. En 1917, devenu conseiller municipal du village de Roxton Pond, il se fait remarquer en proposant que le Conseil proteste contre le projet du gouvernement du Canada d’imposer la conscription militaire sans avoir consulté les électeurs au préalable.

L’éloge funèbre que rend La Voix de l’Est au Dr Émile Labelle, en 1935, vaut d’être cité :

« Le Dr Labelle meurt à 56 ans. Avantageusement connu de toute la région, il pratiquait depuis nombre d’années la médecine générale dans les centres ruraux. L’homme que l’on s’était habitué d’appeler “Le médecin des Pauvres” vient de s’éteindre à l’hôpital Ste-Jeanne-d’Arc de Montréal après une longue maladie. […] En 1910, il épousa Mlle Rose-Anna Bienvenue, duquel mariage huit enfants lui survivent […] Le Dr Labelle est disparu au milieu des regrets et de la sympathie de toute la population qu’il avait conquise par sa simplicité, son affabilité et son esprit de sacrifice qu’il déploya jusqu’à ruiner sa santé.

Rares sont les citoyens de la région et même de Granby qui n’ont pas eu l’avantage de connaître ce “Bon Médecin” qui n’a jamais su refuser un appel soit de la part des riches comme des pauvres. Il a compromis sa santé en servant trop et en oubliant toujours que la machine humaine pouvait s’user. Il est mort victime du devoir professionnel ».

En 2006, la famille Labelle était toujours propriétaire des lieux.

Description architecturale

Cette résidence, qui s’élevait initialement sur un étage et demi, lors de sa construction en 1873, connaîtra en 1932 des transformations majeures, principalement basées sur le modèle américain Four Square, caractérisé par son volume cubique s’élevant sur deux étages, sa toiture en pavillon et ses ouvertures allongées perçant symétriquement l’ensemble de la structure. L’habileté des menuisiers de l’époque, alliée à certaines difficultés reliées à l’approvisionnement de matériaux plus résistants, telles la pierre et la brique, explique en partie le grand intérêt porté au revêtement de clins et aux boiseries ornementales de tout genre, dont sont habillées plusieurs demeures de Roxton Pond, comme la maison Dion-DrLabelle.

Outre une vaste galerie couverte s’enroulant sur deux côtés de la résidence et supportée par des piliers reprenant les ordres architecturaux de l’Antiquité, un corps en saillie à trois pans, disposé sur la devanture et qui devait à l’origine servir de pharmacie et de bureau de consultation, complète l’ensemble architectural. Ce même corps en saillie se retrouve également sur la résidence du Dr Ducharme à Waterloo.