Mourir en 1870
Mario Gendron
Publié le 30 novembre 2010 | Mis à jour le 11 septembre 2024
Publié dans : Santé
On ne mourait pas en 1870 comme on meurt aujourd’hui. Car si de nos jours ce sont le cancer, les maladies du cœur ou le diabète qui sont les principales causes de mortalité, voilà 140 ans, ce sont plutôt la scarlatine, la consomption (tuberculose pulmonaire) ou la rougeole qui emportent les gens, et ce, bien plus tôt dans la vie. Ainsi, en 1870, environ 200 enfants sur 1 000 qui naissent dans la Haute-Yamaska décèdent avant d’avoir atteint l’âge d’un an. Les cimetières régionaux témoignent éloquemment de cette hécatombe des tout-petits qui se prolonge jusque dans les années 1920. À titre de comparaison, le taux de mortalité infantile était de 4,2 pour 1 000 au Québec en 2008, soit respectivement 50 et 40 fois moindre qu’en région en 1870 et en 1920.
En 1870, la mortalité s’alimente, entre autres causes, des conditions d’hygiène déficientes qui favorisent la prolifération des maladies infectieuses. Promiscuité avec les animaux, lait non pasteurisé, absence d’égouts et d’installations sanitaires adéquates constituent autant de vecteurs pour les microbes et les bactéries. Les médecins, privés de vaccins et d’une pharmacopée efficace, sont dans la plupart des cas impuissants à soulager et à guérir les malades. Quant aux bureaux d’hygiène des différentes municipalités, ils limitent leur action à placarder les maisons où habitent des personnes atteintes de maladies contagieuses, sans égard aux stigmates sociaux qu’implique une telle pratique.
Selon les données du recensement de 1871, le territoire de la Haute-Yamaska rassemble un peu plus de 12 000 personnes, dont les trois quarts environ habitent la campagne et vivent de l’agriculture. Les principales agglomérations sont Waterloo et Granby, avec respectivement 1 240 et 876 habitants; les hameaux de Roxton Pond, de Warden et de Sainte-Cécile rassemblent aussi quelques centaines de résidants.
Publicité de F. Gatien, médecin, pharmacien et chimiste, parue dans le Messager canadien, le 14 janvier 1876.
Le tableau du dénombrement des morts, inclus dans le recensement de 1871, montre que sur 194 décès enregistrés l’année précédente dans la Haute-Yamaska, deux seulement sont dus à une maladie du cœur et au cancer, alors que plus d’une centaine ont été causés par la scarlatine, les maladies pulmonaires diverses, la typhoïde ou la rougeole. Autre constat : la mort s’acharne sur les plus jeunes, avec 115 décès qui surviennent chez les moins de cinq ans. Même quand on exclut du calcul les 66 enfants d’un an et moins, l’âge moyen de la mort s’établit à environ vingt-cinq ans dans la Haute-Yamaska en 1870. Le petit nombre (28) des décès qui survient après cinquante ans reflète cette réalité.
Au cours de l’hiver 1870, particulièrement lors des mois de janvier et de février, la scarlatine fait des ravages en région, emportant 47 malades, dont deux seulement sont âgés de plus de dix ans. La maladie concentre ses effets au village de Granby et dans les environs immédiats, où on enregistre neuf décès sur dix. Certaines familles sont particulièrement affectées par la bactérie mortelle. Ainsi, dans le village de Granby, la famille Amyrault perd deux enfants, Joséphine et Wilfrid, âgés respectivement de sept et quatre ans, les Boissonneau voient mourir leurs deux fils de deux ans et demi et neuf mois et les Vaudry pleurent trois des leurs, Mélina (cinq ans), Henri (deux ans) et Jean-Baptiste (onze mois). Dans le canton de Shefford, la scarlatine s’acharne sur les familles Blanchard et Savage, la première perdant deux garçons de six et quatre ans, la seconde un garçon de sept ans et deux filles de cinq et trois ans.
Les maladies pulmonaires constituent la seconde cause de décès en 1870, avec 32 morts. On meurt de consomption, de fièvre, d’inflammation, de congestion pulmonaire, mais aussi de bronchite et de pleurésie. Contrairement à la scarlatine et à la rougeole, ces pathologies emportent surtout les adultes. Typhoïde, fièvres diverses, dysenterie et quelques accidents complètent le triste bilan mortuaire de l’année 1870.
Dans la préface de son roman Trente arpents, paru en 1938, Ringuet (Philippe Panneton) se moquait gentiment de ceux qui avaient la nostalgie du « bon vieux temps », en indiquant que si ces derniers avaient l’opportunité de retourner dans le passé, mais en acceptant d’en vivre les contraintes et les risques, ils n’auraient plus qu’un souhait : retourner dans le confort et la sécurité du XXe siècle. Le nombre, les causes et l’âge des décès dans la Haute-Yamaska en 1870 plaident en faveur de l’opinion du romancier.