Révolution tranquille et révolution communautaire à Granby
Au cours de la Révolution tranquille, avec la prise en charge par l’État du système de santé et de l’ensemble des services sociaux essentiels, qu’on regroupe au sein du ministère des Affaires sociales en 1970, c’est tout le domaine des œuvres de bienfaisance et de la philanthropie qui doit se réorganiser. La générosité et le…
Johanne Rochon
Publié le 15 mai 2013 | Mis à jour le 11 septembre 2024
Publié dans : Association, Communautaire, Femme
Au cours de la Révolution tranquille, avec la prise en charge par l’État du système de santé et de l’ensemble des services sociaux essentiels, qu’on regroupe au sein du ministère des Affaires sociales en 1970, c’est tout le domaine des œuvres de bienfaisance et de la philanthropie qui doit se réorganiser.1 La générosité et le bénévolat gardent cependant toute leur pertinence, puisque les mesures de protection étatique établies au cours de cette période de changement sont loin d’endiguer la pauvreté et la détresse sociale. Par ailleurs, de nouvelles réalités, comme la transformation de la condition féminine et le vieillissement de la population, donnent des raisons d’être supplémentaires à l’action communautaire. Si bien que la période de la Révolution tranquille se caractérise par le foisonnement d’associations et d’organismes voués au soutien des plus faibles et des plus démunis, là où, hier encore, on ne trouvait que les Sœurs Auxiliatrices, la Saint-Vincent-de-Paul, les Chevaliers de Colomb, les clubs Kiwanis ou Richelieu.
Finalement, ce sont les ressources bénévoles du milieu, consacrées comme jamais aux problèmes de santé et d’aide sociale, qui permettent au concept d’État-providence de prendre tout son sens.
Évincée de ses secteurs d’intervention traditionnels, l’Église demeure très présente dans le milieu des œuvres sociales ; elle doit cependant réorganiser son action en fonction des nouvelles réalités. Par exemple, ce sont les Sœurs Auxiliatrices, entourées de laïques, qui mettent sur pied le Centre de bénévolat de Granby, en 1966. L’organisme, subventionné par la Fédération des œuvres du diocèse de Saint-Hyacinthe, a pour but de planifier l’action des bénévoles, les référant aux associations d’entraide où leur présence s’avère le plus nécessaire ; il offre aussi de l’aide familiale, un service d’escorte, des visites à domicile, parmi d’autres bienfaits.
Le Centre de bénévolat2 contribue, en outre, à la mise sur pied de plusieurs organismes d’entraide, comme le Jardin de Pipo (1968), une garderie pour les jeunes handicapés, la Popote roulante, qui distribue des repas à domicile à des personnes en perte d’autonomie, et Carrefour Entraide (1983), un comptoir alimentaire qui deviendra SOS Dépannage en 1987.
En 1961, Granby est la quatrième ville canadienne à accueillir les Disciples d’Emmaüs, une œuvre de l’Abbé Pierre. Grâce à l’opération d’un comptoir de vêtements et de meubles usagés et à la récupération de carton et de tissus, l’organisme procure des logements salubres aux familles nombreuses et peu fortunées. Après la fermeture du comptoir de Granby, en 2000, les Disciples d’Emmaüs, autrefois si populaires, ne compteront plus que deux établissements au Canada.
Au cours de la décennie 1970, l’action des groupes populaires, le réveil des femmes et l’influence des mouvements de gauche donnent naissance à une nouvelle catégorie d’organismes voués à la défense des droits des travailleurs, à l’éducation en milieu défavorisé et à la condition féminine. L’auberge Sous mon toit, fondée en 1971 par la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC) dans le but d’offrir un gîte temporaire aux jeunes travailleurs en difficultés, relève de cette nouvelle prise de conscience sociale et politique. C’est dans la même perspective que sont fondés le Comité d’entraide aux jeunes travailleurs de Granby et le Conseil d’entraide régional et familial de l’Estrie. Quant à l’entraide économique, elle s’organise autour du mouvement coopératif : Club coopératif de consommation des travailleurs de Granby, Association coopérative d’économie familiale (ACEF), Coopérative régionale des consommateurs de la Haute-Yamaska, pour ne mentionner que quelques regroupements.
L’organisation des groupes d’entraide pour femmes prend sa source dans la révolution féministe qui débute à la fin des années 1960. Déjà, en 1966, lors de sa création, l’Association féminine pour l’éducation et l’action sociale (AFEAS), issue de la fusion des Cercles d’économie domestique et de l’Union catholique des fermières, adopte des points de vue et propose des solutions d’avant-garde pour aider ses membres à prendre leurs responsabilités de femmes et de citoyennes, et pour les inciter à participer à la vie communautaire3. Dans un esprit plus large, Informaction femme, née en 1976, soit un an après l’Année internationale des femmes, se donne pour but « de promouvoir le développement humain des femmes pour les amener à se réaliser pleinement [et] de les informer des ressources disponibles dans leur milieu »4 ; ce sont des membres de la même association qui, quelque temps plus tard, organiseront le centre pour femmes Entre-elles. Toujours pendant les années 1970, l’ouverture de la garderie le Grand chapiteau et la fondation de l’Association des familles monoparentales rend compte des réalités que la femme moderne doit maintenant affronter.
En 1975, une vingtaine d’associations de la ville décident de rompre leur isolement et d’augmenter considérablement leur pouvoir d’intervention en se réunissant sous la direction du Groupement des organismes populaires de Granby ; un an et demi plus tard, le journal Le Grégaire, qui est publié à 5 000 exemplaires, fera mieux connaître les réalisations et les objectifs du Groupement. La télévision communautaire (TVC), qui commence à diffuser ses émissions en 1977, devient elle aussi un outil efficace dans la lutte que mènent tous les organismes d’entraide de Granby au nom des plus vulnérables et des plus démunis de la société.
Le champ d’intervention du milieu communautaire sera encore appelé à s’élargir au cours des années 1980, à la suite, entre autres, de la crise de 1982 et du retrait progressif du gouvernement de certains programmes sociaux. Si bien qu’au mitan des années 1980, lorsque les gouvernements seront préoccupés d’assainir les finances publiques, et que la Révolution tranquille sera bel et bien terminée, il reviendra aux associations et organismes locaux d’entraide de perpétuer une part importante de l’héritage de ces années généreuses.
- Cet article est tiré de Johanne Rochon « Au rythme de la Révolution tranquille, 1964-1985 » dans Mario Gendron, Johanne Rochon et Richard Racine, Histoire de Granby, Granby, SHHY, 2001, 512 p. ↩︎
- Centre d’action bénévole de Granby, Granby, 1986, 32 p. ↩︎
- Rita Therrien et Louise Coulombe-Joly, Rapport de l’AFEAS sur la situation des femmes au foyer, Montréal, Boréal Express, 1984. ↩︎
- Société d’histoire de la Haute-Yamaska, fonds Paul-O. Trépanier, Le Grégaire, juin 1977, vol. 1 no 1. ↩︎