La grande rénovation urbaine de Granby (1965-1985)
Au milieu des années 1960, le haut de la rue Principale était bien différent de ce qu’il est aujourd’hui. Les transformations sont le résultat direct d’un grand programme de rénovations urbaines qui, après plusieurs années de travaux et d’investissements, laissera Granby métamorphosée, pour le meilleur et pour le pire.
À Granby, au milieu des années 1960, le haut de la rue Principale était bien différent de ce qu’il est aujourd’hui.1 On y trouvait deux hôtels, le Granby et le Windsor, l’ancien bureau de poste et des édifices commerciaux, maintenant tous démolis; quant aux rues Queen, Young et City, la première est disparue, alors que les deux autres ont été sévèrement amputées. Ces transformations sont le résultat direct d’un grand programme de rénovations urbaines qui, après plusieurs années de travaux et d’investissements, laissera Granby métamorphosée, pour le meilleur et pour le pire.
Au cours de l’après-guerre 1939-1945, le développement rapide des services, du commerce, de l’industrie et, tout particulièrement, l’intrusion massive de l’automobile, exercent de fortes pressions sur le cadre urbain. Granby, comme bien d’autres villes du Québec qui se sont développées sans véritable planification, fait ainsi face, au début des années 1960, à un écheveau de problèmes urgents à régler : circulation automobile, dispersion urbaine des usines qui, entre autres désagréments, augmente le trafic lourd dans les zones résidentielles, manque d’espaces industriels, pénuries récurrentes d’eau potable, absence d’usine d’épuration des eaux usées, réseau d’aqueduc et d’égouts inadéquats et enfin, infrastructure de loisirs à la dimension d’un village.
Programme de rénovation urbaine
Au cours de la Révolution tranquille, à l’instar de nombreuses villes du Québec, Granby réaménage considérablement son espace urbain. Et, tel qu’il l’avait annoncé aux élections de 1964, c’est avec l’aide d’urbanistes et d’ingénieurs conseils que le maire Paul-O. Trépanier entend planifier « cette ville de l’avenir ». Pour y parvenir, le nouveau plan d’urbanisme, adopté en 1969, propose de renforcer le secteur institutionnel et d’aménager de grandes voies de circulation, mais au prix d’importantes destructions dans les vieux quartiers de Granby.
Durant quelques années, ces grands projets de réaménagement urbain transforment Granby en un véritable chantier, d’autant plus important qu’on en profite pour refaire les infrastructures souterraines. La municipalité, incapable d’assumer seule les coûts de ces rénovations, prévoit les partager avec les deux autres paliers de gouvernement dans le cadre du programme de rénovation urbaine ; administré par la Société d’habitation du Québec (SHQ), celui-ci est financé à 50 % par le fédéral, l’autre moitié provenant en parts égales de Québec et de Granby. La candidature de Granby à ce programme avait été présentée à la fin du mandat du maire Paul-O Trépanier, mais c’est son successeur, Jean-Louis Tétreault, qui le met en branle. En effet, c’est en 1971 que la SHQ accepte de consacrer près de 2 millions de dollars à la réalisation du programme de rénovation urbaine de Granby, qui doit s’échelonner sur cinq ans. Le gouvernement apporte cependant certains changements au plan initial, rappelant ainsi à la municipalité que l’objectif du gouvernement est avant tout d’améliorer les conditions de vie des citoyens.
Édifice provincial et centre civique
Selon les plans de l’urbaniste Benoît Bégin, le secteur de l’hôtel de ville s’avère un emplacement privilégié pour la création d’un centre civique, un lieu où seraient rassemblés, autour d’une place publique, des édifices administratifs, commerciaux, culturels et récréatifs. L’endroit, espère-t-on, enrichirait la vie de la cité en multipliant les activités humaines. D’ailleurs, à ce moment, le gouvernement provincial attend qu’on lui indique où construire un nouvel édifice qui regrouperait tous ses services. Ce vaste projet ne peut toutefois s’accomplir sans modifier profondément la trame urbaine : disparition de la rue Queen et amputation des rues Young et City, démolition d’une trentaine de résidences, des hôtels Granby et Windsor (ce dernier acheté par la ville pour faire place à l’édifice provincial) et de quelques édifices commerciaux datant du début du siècle.
Si le projet de centre civique fait finalement long feu, il continue de hanter l’hôtel de ville jusqu’au départ de Paul-O. Trépanier de la mairie. À ce sujet, la dernière offensive du maire, qui date de 1983, lors de son second mandat, propose l’aménagement d’une place publique centrale, à l’abri des intempéries, une « Place de la famille » qui offrirait au milieu culturel un lieu de diffusion unique. Innovateur, le projet repose sur l’intégration d’activités de nature publique et commerciale. Présenté en pleine période de récession, celui-ci avait cependant peu de chances d’aboutir. La proposition du maire aura néanmoins des suites, puisqu’elle conduit à l’établissement d’un premier centre commercial sur la rue Principale et à la construction de l’édifice actuel de la bibliothèque municipale, ouverte au public en septembre 1985. Quant à l’espace devenu superflu par l’abandon du projet de centre civique, après avoir permis, en 1981, le prolongement du boulevard Mountain, qui a aussi nécessité la destruction d’une partie importante du parc Victoria, il sera transformé en un vaste stationnement.
Démolition du bureau de poste
Les interventions municipales à l’intersection des rues Cowie et Saint-Jacques et sur la rue Saint-Antoine sud ont pour but d’améliorer la circulation automobile. Dans le premier cas, il s’agit de faire de la rue Saint-Jacques la principale artère de circulation du côté sud de la rue Principale. Pour cela, il faut élargir celle-ci pour qu’elle rencontre directement la rue Dufferin, quitte à démolir l’ancien bureau de poste et provoquer la colère d’une bonne partie de la population.2 Quant à la rue Saint-Antoine sud, on rectifie son tracé avec pour objectif de raccorder les parties nord et sud de la ville à l’aide d’un pont sur la rivière Yamaska ; mais à la suite d’objections des citoyens, ce pont ne sera jamais construit.
Les expropriés
Le plan de rénovation urbaine ne peut s’accomplir sans qu’on procède à l’expropriation de nombreuses familles. En 1976, alors que les travaux s’achèvent, la ville a acquis 87 propriétés, la plupart pour les démolir, délogeant 120 familles. Plusieurs des citoyens déplacés resteront amers de l’expérience. Le président du Conseil central de Granby (CSN), Pierre Gendron, résume ainsi les effets contradictoires du programme : « La rénovation urbaine m’apparaît comme nécessaire quoique le principal but n’est pas de faire en sorte de mieux reloger et de mieux localiser les personnes touchées, mais d’améliorer la cité sur le plan esthétique, de créer des espaces verts et de faciliter la circulation automobile. Forcément, la rénovation va améliorer le logement de certaines gens… le plan est acceptable, mais… il ne se fera pas sans pleurs et grincements de dents ».
Bâtiments voués à la démolition
Le plan initial prévoyait que les expropriations seraient suivies par la création d’un office municipal d’habitation (OMH) et par la construction d’habitations à loyer modique (HLM) destinées à reloger les personnes à faible revenu. Mais alors que 54 familles souhaitent profiter de la mesure, le maire Tétreault s’y oppose, considérant que la ville possède suffisamment de logements disponibles sur le marché privé pour ne pas avoir recours à un nouvel organisme et à la construction de HLM. Un comité de citoyens est alors mis sur pied pour tenter d’infléchir la décision des autorités municipales. Paul-O. Trépanier qui, à l’époque où il était maire, avait prévu la réalisation des HLM, se porte à la défense des expropriés et devient leur porte-parole.
En janvier 1973, après que Québec eut annoncé qu’il assumerait 90 % des déficits d’opération éventuels, le Conseil se résout à mettre sur pied l’Office municipal d’habitation de Granby. L’année suivante, Paul-O. Trépanier revenu au pouvoir, l’organisme recommande la construction de trois HLM, totalisant 125 unités de logement, qui, selon les désirs des expropriés, sont localisées dans les quartiers où eurent lieu les démolitions. Indice que les HLM correspondent à un besoin, l’Office municipal d’habitation reçoit 315 demandes pour un logement.
- Cet article est tiré de Johanne Rochon, « Au rythme de la Révolution tranquille » dans M. Gendron, J. Rochon, R. Racine. (2001). Histoire de Granby, Société d’histoire de la Haute-Yamaska, p. 371 à 458. ↩︎
- À propos de la démolition du bureau de poste, voir Mario Gendron. (2017, 5 octobre). L’ancien bureau de poste de Granby : autopsie d’une démolition. ↩︎