Une Granbyenne, première dame du Canada
René Beaudin
Publié le 28 février 2012 | Mis à jour le 11 septembre 2024
Publié dans : Politique
Parmi ceux qui s’intéressent à l’histoire régionale, bien peu savent qu’une de nos concitoyennes a été l’épouse du neuvième premier ministre du Canada, Arthur Meighen. Jessie Isabel Cox, dont il s’agit, est née à Granby South Ridge le 18 avril 1883. Elle était la nièce du célèbre écrivain et illustrateur Palmer Cox, créateur du petit monde des Brownies, ces lutins espiègles dont les aventures ont captivé les enfants anglophones des années 1880-1920. Sans doute inspirée par son oncle qui, dans sa tendre jeunesse, avait quitté Granby pour l’Ouest américain, Isabel Cox, dès ses études complétées, s’expatrie au Manitoba pour exercer le métier d’enseignante dans un petit village nommé Birtle. C’est là qu’elle fait la rencontre d’Arthur Meighen, un jeune avocat qui possède un cabinet à Portage-la-Prairie. Ils se marieront à Birtle, en juin 1904.
Né le 16 juin 1874 près d’Anderson, en Ontario, Arthur Meighen obtient un diplôme d’enseignement en 1897, avant de devenir avocat en 1903. Sa carrière en droit l’amène à s’intéresser aux affaires immobilières et à s’impliquer en politique fédérale avec le Parti conservateur. En 1908, il se fait élire dans Portage–la–Prairie et devient député de l’opposition, alors dirigée par Robert Laird Borden. À la suite de la victoire électorale des conservateurs, en 1911, et du déclenchement de la Première Guerre mondiale, trois ans plus tard, Meighen se voit confier des responsabilités politiques de plus en plus importantes. Ainsi, c’est à lui que le premier ministre Borden confie, en 1916, le délicat mandat de rédiger et de défendre au Parlement le projet de loi touchant le service militaire obligatoire, c’est-à-dire la conscription, une mesure qui devait rendre impopulaire le parti conservateur au Québec, et ce, pour longtemps.
Sa santé déclinant, Borden annonce sa démission en juillet 1920 et Arthur Meighen est aussitôt désigné comme son successeur en raison de ses états de service au sein du parti et du gouvernement. Le 10 juillet 1920, ce dernier devient donc premier ministre du Canada sous la bannière d’un parti de coalition, le Parti libéral et conservateur national. On rapporte que l’accession au titre de première dame du Canada ne fit pas grande impression sur Isabel Cox-Meighen. Ainsi, le soir de la nomination de son mari, elle s’amusait encore avec ses enfants tout en recevant quelques amis, comme elle avait coutume de le faire. « Il n’y a pas grand-chose à dire de ma personne », répondit-elle candidement au journaliste venu récolter ses premières impressions. « Je suis aujourd’hui comme je l’étais hier, mais peut-être que je ne réalise pas encore le grand honneur qui m’échoit », finit-elle par admettre.
Au cours de l’été et de l’automne 1920, le couple Meighen entreprend une grande tournée à travers le pays afin de consolider les assises du parti de coalition. C’est dans ce contexte qu’Isabel Cox et son époux se rendent dans les Cantons-de-l’Est, à la fin du mois de septembre, faisant des arrêts à Sherbrooke, Magog, Cowansville, Knowlton, Waterloo et Granby. Cet événement hors du commun crée un véritable émoi au sein des communautés anglophones de Waterloo et de Granby, d’autant plus que le Granby Leader-Mail, d’obédience conservatrice, se fait un devoir de rapporter tous les faits et gestes du couple comme s’il s’agissait de têtes couronnées. Des journalistes du Montreal Gazette, du Montreal Star, du Toronto Star et du Sherbrooke Record accompagnent aussi le premier ministre Meighen dans sa tournée. La veille de son arrivée à Granby, étape ultime de leur voyage, le premier ministre indique qu’il est très heureux de se retrouver dans la ville natale de son épouse, qu’il nomme affectueusement Nan, et qu’il connaît l’endroit pour l’avoir visité lors de son voyage de noces, en 1904.
À Granby, la soirée tenue en l’honneur du premier ministre se déroule à l’hôtel de ville. Tous les notables ont été conviés à l’événement et bien peu d’entre eux ont osé refuser l’invitation. Cependant, contre toute attente, le moment fort de ce rassemblement ne fut pas le discours d’Arthur Meighen ou celui du maire de la ville, Ernest Boivin, mais bien l’intervention impromptue de madame Meighen qui, apercevant son oncle, l’écrivain et illustrateur de renom Palmer Cox, discrètement installé dans le fond de la salle, s’empara du micro et convia ce dernier à venir s’asseoir à la table d’honneur. Un peu surpris, le grand vieillard céda finalement aux applaudissements de la foule ; par son geste gracieux, la première dame du pays venait de conquérir tous les cœurs.
En juin 1921, Meighen se rend avec son épouse à la Conférence impériale, à Londres, peu avant de perdre le pouvoir aux mains du libéral William Lyon Mackenzie King. Lors des élections suivantes, qui se tiennent en 1925, les conservateurs de Meighen renouent avec la victoire en remportant le plus grand nombre de sièges, mais leur règne ne dure que quelques mois.
À la suite de ce revers, Meighen décide de quitter la direction du Parti conservateur pour retourner au monde des affaires, s’installant à Toronto avec sa femme et leurs trois enfants. Toutefois, il ne délaisse pas complètement la politique, devenant même leader du gouvernement au Sénat en 1932. Après le retrait définitif de la vie politique d’Arthur Meighen, qui coïncide avec la fin de la Deuxième Guerre mondiale, le couple Cox-Meighen vivra une paisible retraite, jusqu’au décès de l’ancien premier ministre des suites d’une courte maladie, en 1960. Quant à Isabel Cox, elle survit vingt-cinq ans à son mari, décédant à l’âge vénérable de 102 ans, en 1985. Détail intéressant, un des petits-fils du couple, Michael Meighen, reprendra le flambeau politique en tant que collecteur de fonds pour les progressistes-conservateurs et comme proche conseiller et ami personnel de Brian Mulroney, premier ministre du Canada de 1984 à 1993. Ce dernier, d’ailleurs, le nommera sénateur en 1990.